Certain pays d’Europe de l’Ouest envisagent sérieusement d’acheminer des produits de consommation à travers des réseaux souterrains automatisés, ce qui mènerait à l’apparition d’un cinquième mode de transport après la voie routière, ferroviaire, aérienne et maritime. Cette rare combinaison entre « le low-tech » et « le high-tech » pourrait conduire à une nouvelle croissance économique sans détruire l’environnement ni la qualité de vie. Le transport souterrain super rapide de marchandises est un sujet très apprécié des futurologues. Cependant, la clé pour rendre ces systèmes fonctionnels est la régulation de la vitesse, qui se doit d’être très faible mais constante.
« Vous pouvez commander quelque chose sur Internet et le récupérer dans votre cave le lendemain matin ».
L’envoi de marchandises par des conduits souterrains est tout sauf nouveau. Dès la seconde moitié du XIXe siècle, les systèmes de transport de courriers et de petits colis sont devenus assez courants dans la plupart des villes du monde. Dans ces réseaux postaux pneumatiques (encore utilisés aujourd’hui dans certains magasins et grands édifices), les petites capsules sont propulsées par la pression de l’air dans des tubes et atteignent une vitesse d’environ 35 km/h.
Paris et Berlin disposaient de plus de 400 kilomètres de réseaux urbains ayant été utilisés jusqu’à la fin du XXe siècle. À Prague, le système pneumatique a même fonctionné jusqu’en 2002 avant qu’il ne soit endommagé par une inondation.
Aux États-Unis, cette technique a été abandonnée dans les années 1950 au profit des camions et des nouvelles technologies de communication. À Paris notamment, le système (situé principalement dans les égouts) a été amélioré. En effet, certains tubes pneumatiques ont été changés afin d’en augmenter le diamètre et, un trafic bidirectionnel ainsi qu’une navigation automatique ont vu le jour.
Il faut savoir que les systèmes pneumatiques seraient susceptibles de livrer des objets physiques ; une tâche jusqu’à maintenant difficile à accomplir avec les fonctionnements et technologies déjà connus.
Réintroduction
Depuis les années 1960, il y a eu plusieurs tentatives pour acheminer des marchandises par des réseaux pneumatiques avec un diamètre beaucoup plus important (voir la photo ci-dessous : système de capsules en Ontario). Des lignes ont été construites aux États-Unis, au Royaume-Uni, au Canada, en Russie, au Japon et en Allemagne. Cependant, elles n’ont jamais connu un grand succès. Aujourd’hui encore, plusieurs inventeurs et entreprises tentent de réintroduire cette technique.
Il est facile de comprendre leur initiative : un livreur travaillant par voie terrestre a aujourd’hui besoin de beaucoup plus de temps en raison des embouteillages, tandis que les systèmes postaux pneumatiques du XIXe siècle sont bien plus rapides.
Toutefois, même si ce système fonctionne convenablement, se contenter de copier une technologie datant de deux siècles n’est pas très innovant. Les systèmes pneumatiques consomment beaucoup d’énergie et ne sont pas adaptés aux longues distances (c’est d’ailleurs également le problème des voitures à air comprimé). Certains tentent de supprimer ces inconvénients en concevant des systèmes tubulaires à partir d’un propulseur électromagnétique. À l’avenir, cette technique pourrait être utilisée pour atteindre des vitesses très élevées.
Aujourd’hui, un livreur a besoin de beaucoup plus de temps pour livrer un colis que les systèmes postaux pneumatiques du XIXe siècle
Cependant, les meilleures techniques ne reprennent que le concept de transport souterrain automatisé. En effet, la très connue propulsion électrique est d’usage tandis que l’air comprimé ou les forces électromagnétiques sont laissés de côté. Par conséquent, il faudra se contenter de vitesses extrêmement faibles allant de 7 à 35 km/h.
De fait, le concept de transport pneumatique est mêlé à celui d’une ligne de métro automatique ou d’un tapis roulant.
Transport de conteneurs
L’Allemagne, les Pays-Bas et la Belgique prévoient la mise en place d’un réseau logistique souterrain. Ce n’est pas une coïncidence. Malgré l’étendue de leurs réseaux routiers, ces pays font face à d’importants embouteillages. Hambourg, Rotterdam et Anvers, trois des dix premiers ports mondiaux, sont situés à quelques centaines de kilomètres les uns des autres.
Une grande quantité de marchandises doit être transportée depuis ces ports, en direction de l’arrière-pays. Et la situation n’ira pas en s’améliorant puisque les ports ne cessent d’étendre leur capacité de manutention des conteneurs. Dans ces trois pays, le transport routier de marchandises devrait doubler d’ici 2020. Il est possible que cela entraîne l’engorgement total de l’infrastructure routière existante (et prévue).
Bandes transporteuses souterraines
En Belgique, l’Université d’Anvers a conçu et proposé un système logistique souterrain qui permettrait de transporter de grands conteneurs de plus de 12 m. Ce réseau desservirait le nouveau quai à conteneurs du port, une gare de triage déjà existante et un centre de navigation intérieure attendu prochainement sur l’autre rive du fleuve.
Le projet, appelé « Underground Container Mover », porte sur la construction d’un tapis roulant électrique de près de 21 km qui transporterait 5 500 conteneurs prêts à être expédiés quotidiennement (et pendant la nuit).
Plus de 20 axes perpendiculaires commandés par ordinateur déposeront les conteneurs du quai au sous-sol, qui sera d’une profondeur de 22 à 28 m. Le tapis roulant ne tourne qu’à une vitesse de 7 km/h, alors il ne sera pas nécessaire de l’arrêter pendant le chargement et le déchargement des conteneurs. Selon l’entreprise de construction Denys, ce système pourrait être fonctionnel d’ici 4 ans.
Véhicules électriques
En Allemagne, l’Université de la Ruhr à Bochum travaille sur un concept assez différent appelé le projet CargoCap. Ce système allemand est conçu pour supporter des charges plus petites et fait appel à des véhicules électriques sans conducteurs et sur rails, circulant dans des tuyaux d’un diamètre de seulement 1,6 m. Chaque véhicule, appelé « Cap », est conçu pour le transport de deux palettes au standard européen. Ce système a été imaginé pour un usage à l’échelle régionale avec une distance maximale de 150 kilomètres, dans un réseau finement calculé. Chaque véhicule est programmé pour suivre un certain itinéraire jusqu’à sa destination.
Alors que le système belge n’est encore qu’à l’état de projet, les ingénieurs allemands mènent déjà des expériences avec un modèle à grande échelle. Les véhicules se trouvent à 2 m de distance entre eux. Ainsi, un système est capable de décharger chaque capsule d’une même livraison sans réduire leur vitesse. Pour éviter d’éventuels blocages, chaque véhicule est équipé de plusieurs moteurs de remplacement. Par conséquent, si une panne survient, le véhicule n’interrompt pas le flux de circulation et peut atteindre la station suivante.
Le système allemand est similaire à celui d’une recherche menée aux Pays-Bas il y a près de dix ans.
Les Néerlandais ont alors étudié la possibilité de créer un réseau logistique souterrain couvrant l’ensemble du pays.
La commande par mail
Ce plan ambitieux consistait en la mise en place d’un réseau finement tissé avec un hub couvrant 1 000 à 5 000 foyers, où chacun était à une distance maximale de 750 m pour aller chercher des marchandises (les informations ne sont pas sur Internet ; les données et l’illustration proviennent d’une brochure papier).
Ces concepts offrent des possibilités intéressantes. Les articles peuvent être transportés d’usines à magasins, d’usines à usines ou des magasins aux consommateurs, si bien qu’à long terme, le concept pourrait tellement se développer que les articles pourraient être livrés à domicile. Vous pourriez commander quelque chose sur Internet et le récupérer dans la trappe de votre cave le lendemain matin.
Dans le projet néerlandais, les villes connectées offriraient également la possibilité d’envoyer des marchandises dans d’autres villes. Et, une sorte de service de messagerie verra le jour. Il serait ainsi possible d’expédier des produits d’une maison à une autre, d’où l’intérêt de la commande par mail.
Un flux constant de marchandises
Mais même sans trappe dans une cave, il y a beaucoup d’avantages. Les camions sont une cause importante de pollution sonore et atmosphérique. De plus, ils provoquent de graves accidents de la route, consomment une grande quantité de carburant et nécessitent beaucoup d’espace. Un système de transport automatisé et souterrain effacerait tous ces problèmes. Grâce à la commande automatisée, à la faible vitesse et à l’efficacité supérieure du transport électrique, la consommation d’énergie du système est bien inférieure à celle de tout autre moyen de transport. En outre, les véhicules ne disposeront pas de batteries nocives puisque l’électricité est transmise par les rails.
« Grâce à la commande automatisée, à la faible vitesse et à l’efficacité supérieure du transport électrique, la consommation d’énergie du système est bien inférieure à celle de tout autre moyen de transport. »
Transport souterrain CargoCap. Les avantages économiques sont tout aussi important que ceux écologiques, mais ils sont moins flagrants. Tout d’abord, les marchandises peuvent être livrées beaucoup plus rapidement et ce, malgré une vitesse bien plus faible.
C’est le flux continu qui rend ce système souterrain automatisé rapide.
Les camions, eux, sont exposés aux divers problèmes liés à la circulation (feux tricolores, embouteillages etc.) et parfois même aux conditions météorologiques. Le conducteur doit également dormir et des accidents peuvent arriver.
Outre la vitesse et les contraintes de livraison, disposer d’une infrastructure séparée et automatisée aide à prévoir précisément la date d’arrivée des marchandises. Cela permet aux entreprises de réduire le nombre d’entrepôts. Dans un tel système, les chaînes d’approvisionnement se connectent les unes aux autres. En effet, les tapis roulant quittent les usines et relient plusieurs centres de production comme s’il n’en existait qu’un seul à l’échelle régionale, voire mondiale.
Enfin, le transport automatisé s’avère être moins cher pour les raisons suivantes :
- la livraison des marchandises est plus fiable ;
- aucune rémunération de chauffeurs n’est à prévoir ;
- la consommation d’énergie est moindre.
Passé sous silence
Le principal inconvénient d’une infrastructure logistique souterraine est son coût initial. Selon des calculs effectués par des Néerlandais, le réseau national leur coûterait environ 60 milliards d’euros et ce, il y a 10 ans. Cette action a été passée sous silence. Néanmoins, en se référant aux calculs des chercheurs, une extension de l’infrastructure routière coûterait presque autant. En effet, les charges fixes (rémunération des chauffeurs, réparation des routes, etc.) et les charges occasionnelles (pertes de temps et d’argent dus aux embouteillages, aux accidents et aux maladies liées à la pollution) sont beaucoup plus élevées avec un réseau routier.
Mais, l’élargissement du réseau routier présente un avantage important car il s’agit de l’extension d’une infrastructure déjà existante. De ce fait, des résultats immédiats seront perceptibles. En revanche, le développement d’un nouveau système de transport souterrain (inter)national demande un investissement initial conséquent et les résultats ne sont visibles qu’après quelques décennies. Cependant, cette pensée à long terme n’est pas celle privilégiée par les citoyens (en particulier les politiciens) qui, eux, optent pour une vision à court terme.
Cet article a été présenté sur Slashdot, conjointement avec un reportage de Modern Mechanix portant sur le réseau de fret souterrain de Chicago. Celui-ci n’est pas automatisé mais il demeure tout de même impressionnant.