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L'Ictíneo : le sous-marin à vapeur

Narcís Monturiol a brillamment surpassé les deux obstacles principaux à l’invention du sous-marin, soit l’alimentation en air et la puissance mécanique.

Image : L’Ictíneo
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Peu d’inventions victoriennes possèdent l’élégance et le charme de l’Ictíneo, nom donné aux deux sous-marins en bois de Narcís Monturiol i Estarrol datant de la seconde moitié du XIXe siècle.

Contrairement à ses contemporains allemands, français et américains, l’inventeur catalan parvint à construire un sous-marin parfaitement opérationnel.

L’Ictíneo II fut le premier sous-marin à combustion de l’histoire et le pionnier de concepts qui n’ont été égalés que dans les années 1940. Malheureusement, les deux colosses furent détruits et Monturiol, fauché, tomba dans l’oubli.

Poisson

L’Ictíneo, dont le nom vient du grec pour poisson et navire, apparut pour la première fois en 1859, sur le port de Barcelone, où il connut un succès immédiat. Monturiol, n’ayant pas étudié les sciences, est alors devenu un héro local. Le sous-marin, fabriqué à partir de bois d’olivier et soutenu par des anneaux en chêne gainés d’une couche de cuivre de deux millimètres, mesurait seulement 7 mètres de long et contenait à peine assez de place pour accueillir le capitaine et son équipage de 4 hommes, chargés de démarrer le navire à la manivelle.

Image : L’Ictíneo
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Malgré son apparence rudimentaire, l’Ictíneo était une merveille de la technologie en plus d’être précurseur. Le navire possédait une double coque faite d’une partie intérieure, sphérique et résistante à la pression de l’eau, et d’une partie extérieure, protégeant le sous-marin. Cette dernière, en forme de poisson, était hydrodynamique et servait à manœuvrer le sous-marin.

Entre les deux coques se trouvaient deux ballasts contrôlés de l’intérieur depuis la cabine par des valves laissant passer l’eau ou forçant l’alimentation en air. Pendant la navigation, le tangage était maîtrisé par un poids positionné sur un rail. La micro-gestion de la flottabilité a permis à l’Ictíneo de plonger jusque dans des profondeurs extrêmement précises, exploit que les sous-marins de l’époque n’ont pu accomplir.

Éclairage à la bougie

Pour Monturiol, la sécurité passait avant tout. Outre la coque protectrice, les poids pouvaient être lâchés rapidement en cas d’urgence. Les hublots en verre sur les côtés, sur le dessus et sur le devant, étaient poussés vers l’intérieur de la coque par la pression de l’eau, protégeant le navire de quasiment tous types de fuite.

Image : L’inventeur Narcís Monturiol i Estarrol.
Image : L’inventeur Narcís Monturiol i Estarrol.
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L’intérieur du sous-marin était éclairé par une bougie, épuisant l’oxygène pourtant si précieux, mais permettant aussi de prévenir l’équipage en cas de manque dans le navire. Monturiol a testé son sous-marin 59 fois. Aucun accident ne fut enregistré. Le navire pouvait rester sous l’eau pendant 2 heures et plonger jusqu’à 20 mètres.

Sous-marin à rames

Monturiol n’était pas le premier à construire un sous-marin. Le néerlandais Cornelius Jacobszoon Drebbel a lui aussi construit un sous-marin pour le moins remarquable, entre 1620 et 1624, selon les plans inachevés de l’anglais William Bourne au XVIe siècle. Le navire, entouré d’un cadre en bois recouvert de cuir, fonctionnait grâce à des rames.

Son dernier modèle, doté de 6 rames, pouvait transporter 16 passagers et rester sous l’eau pendant 3 heures, soit une distance de parcours de 5 kilomètres à 5 mètres de profondeur sous la Tamise.

Image : Le Nautilus.
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Robert Fulton, un américain résidant en France à l’époque, a construit le fameux « Nautilus », testé pour la première fois dans la Seine en 1800 (cf. image ci-dessus).

Il pouvait rester 5 heures sous l’eau grâce à un système d’air compressé.

L’inventeur allemand Wilhem Bauer inaugura le « Brandtaucher » en 1850 et le « Seeteufel » en 1856 (ils ont tous les deux coulé).

L’inventeur américain Horace Hunley inaugura le « H.L.Hunley ». Il s’agissait du premier sous-marin à couler un navire de guerre ennemi (et le premier à couler 3 fois, emportant avec lui 25 personnes) en 1863, quelques années après Monturiol.

Propulsion

Bien que l’Ictíneo était un navire dernier cri comparé à ses nombreux contemporains, il possédait les mêmes inconvénients que les autres sous-marins de l’époque : une portée et une alimentation en air limitées ainsi qu’une faible vitesse. Tous les premiers sous-marins avançaient grâce à la force humaine. Ils étaient donc très lents.

Le Nautilus était équipé d’une voile ne pouvant être déployée qu’à la surface. Sous l’eau, le navire fonctionnait grâce à une vis hélicoïdale qu’il fallait tourner à la main. L’Ictíneo avançait grâce à des pédales. Pour atteindre une vitesse de 1 km/h (soit à peu près la même vitesse que le sous-marin à rames inventé trois siècles plus tôt), il fallait la force de 4 hommes. Cette vitesse n’était pas toujours suffisante pour surmonter le courant et les vagues.

Image : Croquis de l’Ictíneo
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Image : Croquis de l’Ictíneo
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Monturiol créa un plus grand sous-marin à vapeur après que l’Ictíneo, amarré au port de Barcelone, fut écrasé par un cargo. L’Ictíneo II, plus de deux fois plus grand que son prédécesseur, fut inauguré en 1864 (à la force humaine) et en 1867 (avec propulsion à vapeur). Il est devenu le premier sous-marin à moteur à combustion au monde.

À l’époque, on pensait qu’il était impossible de faire fonctionner un moteur à vapeur sous l’eau car il aurait utilisé tout l’oxygène et transformé l’intérieur du navire en fournaise. Afin de surmonter cela, Monturiol a inventé une chaudière chimique, basée sur la réaction entre le chlorate de potassium, le zinc et le dioxyde de manganèse. Elle produisait assez de chaleur pour faire bouillir de l’eau et tourner le moteur à vapeur. Plus ingénieuse encore, cette réaction chimique dégageait de l’oxygène comme sous-produit.

Tuba

Narcís Monturiol a brillamment surpassé les deux obstacles principaux à l’invention du sous-marin, soit l’alimentation en air et la puissance mécanique. En réalité, il est à l’origine de la première forme de propulsion anaérobie (indépendante de l’air), ensuite reprise dans les années 1940 pour la turbine Walter en Allemagne, puis pour le premier sous-marin nucléaire, l’USS Nautilus.

Image : Le gouvernail de l’Ictíneo.
Image : Le gouvernail de l’Ictíneo.
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L’Ictíneo II était le premier navire qui s’auto-approvisionnait en oxygène sans remonter régulièrement à la surface ou utiliser un tuba, comme ce fut le cas pour le Nautilus. Le fait que Monturiol, qui n’a jamais fait breveter ses idées, n’apparaisse pas dans de nombreux documents maritimes traitant de la progression des sous-marins laisse perplexe.

Au vu du nombre de machines présentes à bord du navire, seulement 2 hommes pouvaient y entrer, bien que le sous-marin ait été construit pour accueillir un équipage de 20 personnes. L’Ictíneo II a effectué près de 20 trajets de démonstration sans aucun problème. Il pouvait rester immergé pendant huit heures et plonger jusqu’à 50 mètres. Monturiol savait que la profondeur maximum possible était de 500 mètres, mais choisit de ne pas prendre le risque d’essayer de plonger si loin.

En 1868, peu de temps après sa création, le révolutionnaire Ictíneo II fut saisi par le personnel du chantier naval et détruit, comme son prédécesseur. Pour quelle raison ? Monturiol ne disposait pas des moyens financiers nécessaires.

Corailleurs

Si ses adversaires construisaient des sous-marins à des fins militaires, Monturiol, lui, avait des ambitions toutes autres. Communiste, révolutionnaire et utopique, il voyait ses inventions comme une manière d’améliorer les conditions de vie de la classe ouvrière. Il fut témoin de la noyade d’un corailleur dans le village côtier de Cadaqués et voulu rendre son métier plus sûr grâce à son sous-marin.

L’Ictíneo II était équipé de bras pouvant attraper des objets dans le fond marin. Selon d’autres sources, Monturiol voyait le sous-marin comme un outil d’exploration des fonds marins et un moyen de transport.

Image : L’Ictíneo
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La recherche de financement indépendant s’avérant être un échec, Monturiol tenta de vendre ses inventions à l’armée.nIl ajouta un canon sur l’Ictíneo II dans un dernier effort pour attirer les investisseurs madrilènes, mais la monarchie espagnole était réticente à l’idée d’utiliser ce sous-marin en bois. Dans d’autres pays à l’époque, l’armée ne voyait pas le potentiel des sous-marins. Leur utilisation allait à l’encontre de la guerre telle qu’elle était connue.

Américains

Monturiol a également essayé de vendre ses inventions à la marine américaine après avoir entendu parler de la Guerre civile et de leur tentative de construire des sous-marins, mais malheureusement, le conflit se termina avant qu’il ne puisse faire quoique ce soit.

Paradoxalement, seulement 30 ans plus tard, la flotte espagnole fut anéantie par les américains dans la guerre à Cuba, emportant avec elle les restes d’un empire vieux de 400 ans.

Les navires espagnols étaient largement inférieurs aux navires américains, qualitativement parlant. Une armée de sous-marins aurait pu changer le cours de l’histoire.

Reproductions

Des reproductions des deux sous-marins sont exposées à Barcelone : L’Ictíneo I se trouve dans le jardin du Musée maritime et L’Ictíneo II sur le port (cf. les photos ci-dessus).

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