Battery used Battery charging

La brève histoire des premières machines à pédales

A partir des années 1870, différents outils furent combinés à des sytèmes à pédales ou à manivelle: tours, scies, ponceuses, raboteuses, outils d’affûtage, de forage, de perçage et de coupe.

Image: Une scie fonctionnant à pédales.
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Depuis la généralisation des énergies fossiles et de l’électricité, les outils et machines manuelles sont considérées comme des technologies largement dépassées. C’est bien vite oublier toute l’innovation technique dont elles ont fait l’objet afin d’améliorer leur rendement.

C’est à la fin du XIXe siècle que le mécanisme qui permet de capter l’énergie produite par une personne: le pédalier. Les machines à pédalier stationnaire rencontrèrent un boom au tournant du XXe siècle, mais l’apparition d’une électricité bon marché et des énergies fossiles stoppa net leur développement.

Les personnes habituées aux miracles des énergies fossiles et à l’omniprésence de l’électricité réalisent rarement le rôle historique qu’ont pu jouer les machines à pédales.

Manivelles, cabestans et tympan

Le mouvement rotatif est le mécanisme à la base de la plupart des machines que l’histoire humaine a pu produire. Plusieurs innovations ont permis de générer un mouvment rotatif grâce à la force humaine, et ce dès l’Antiquité: l’arc (voir l’article sur les outils de perçage manuels. Chacun de ces composants a amélioré la transmission mécanique de l’énergie humaine (et parfois animale) en la démultipliant (avantage mécanique (AM)).

Une manivelle a un avantage mécanique d’environ 2 pour 1, ainsi ce composant double la force déployée par l’utilisateur. Avec un cabestan, l’avantage mécanique atteint environ 6 pour 1. Un tympan d’un diamètre d’au moins 4 mètres avait un avantage mécanique de 14 pour 1. Cela signifiait qu’une personne marchant dans le tympan exerçait un “moment d’une force” (ou “torque,” la force faisant pivoter un objet autour d’un axe) 7 fois supérieur à une personne actionnant une manivelle. Ou encore, qu’une personne pouvait exercer un même mouvement d’une force (torque) avec 7 fois moins d’efforts.

Le tympan avait un autre avantage sur la manivelle: il permettait d’utiliser les muscles des jambes, bien plus puissants, plutôt que ceux du bras, en plus d’utiliser deux membres à la fois plutôt qu’un. Un même effort pouvait donc être soutenu sur une période bien plus longue – ou une force supérieure pouvait être exercée sur la même durée. Dans une moindre mesure le cabestan disposait des mêmes avantages car les jambes effectuaient une grande partie de l’effort.

Image: Une scie équipée d’une pédale-levier.
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Une autre innovation fit surface au Moyen-Âge: la pédale-levier

[NDLT: Le mot “pédale” en français désigne deux choses qui ont chacune leur mot en anglais:

  1. une pédale de type cycliste où la personne actionne un pédalier avec ses deux jambes, “pedal” en anglais,
  2. la pédale de type machine à coudre, plate-forme sur laquelle on appuie à un seul pied, “treadle” en anglais. Je désignerai comme “pédale” la première, et désignerai la seconde comme “pédale-levier”].

Dès le XXe siècle les chinois utilisent des pédales-levier en bois pour obtenir un mouvement continu afin d’alimenter pompes à eau, machines textiles et scies à bois. En occident on retrouve des pédales-levier principalement pour actionner les rouets ou encore les tours (à bois ou à métal).

Comparées aux cabestans et aux tympans, les pédales-levier étaient peu efficace (les muscles accélèrent le mouvement du pied puis le décélèrent à nouveau peu de temps après) mais c’était une alternative compacte et correcte tant que la puissance nécessaire restait faible. Elles avaient un grand avantage sur la manivelle: les mains restaient libre pour manipuler la machine-outil.

Un afflux de machines à pédales

Ce n’est que dans les années 1870 qu’apparût la plus grande innovation en terme de captage de l’énergie humaine pour générer de l’énergie rotative. Certains d’entre nous l’utilisent toujours comme mode de déplacement mais il est extrêmement rare désormais de la voir utilisée pour actionner une machine stationnaire: le pédalier. Aux origine les pédales et les manivelles étaient directement connectée à la roue avant (parfois arrière). Avec l’apparition quelques années plus tard de la “bicyclette de sécurité”, la transmission directe de force fût remplacée par une chaîne de transmission et des pignons – qui sont encore les éléments de base de nos vélos modernes. Le pédalier n’est pas sorti de nulle part: certains ancêtres du vélo étaient équipés de pédales-levier, qu’on peut considérer comme la précurseuse de la pédale.

Image: Une scie de modélisme actionnée par un pédalier.
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Les pédales et leurs manivelles ne permettent pas en soi au pédalier d’avoir un avantage mécanique sur la manivelle manuelle, et encore moins sur le cabestan ou le tympan. La révolution que permet le pédalier c’est de pouvoir utiliser les muscles des jambes, plus puissants, dans un mouvement continu. De plus il s’agit d’un mécanisme bien plus compact que le cabestan ou le tympan.

Enfin, si l’on utilise le bon rapport de transmission (grâce à une chaîne et des engrenages de différentes tailles) il est possible d’atteindre un avantage mécanique comparable à celui d’un cabestan ou d’un tympan (en multipliant le moment d’une force aux dépends de la vitesse ou inversement). Ainsi l’énergie captée par pédalage peut être appliquée à une myriade d’usages.

Image: Une ponceuse à pédales
Image: Une ponceuse à pédales
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A partir de 1876, différents outils furent combinés à des sytèmes à pédales ou à manivelle: tours, scies, ponceuses, raboteuses, outils d’affûtage, de forage, de perçage et de coupe. Ces machines rencontrèrent un grand succès: conçues pour de petits ateliers ou pour être utilisées au sein du foyer, elles ne nécessitaient ni électricité ni moteur à vapeur pour fonctionner. Les différents éléments qui le composaient étaient en fonte et pouvaient être démontés ou pliés pour faciliter l’expédition de la machine.

L’arrivée du pédalier ne relégua ni les manivelles ni les pédale-leviers au placard: au contraire, ces outils se perfectionnèrent (passant du bois à l’acier par exemple, et utilisant des système de vitesses comme les bicyclettes) et rencontrèrent un franc succès pour des usages brefs ou nécessitant peu d’énergie.

Image: Un tour à pédales.
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On trouve des pédale-leviers sur diverses machines industrielles servant à fabriquer entre autres des chapeaux, balais, cigares ou crochets, des presses d’imprimerie, des poinçonneuses ou des riveteuses. Dans les fermes, on vit apparaître des moissonneuses actionnées par le pied, ainsi que des batteuses, trayeuses ou botteleuses de légumes. Les dentistes de la fin du XIXe siècle utilisaient même une fraiseuse à pédale-levier.

En finir avec le labeur humain

Depuis la généralisation des énergies fossiles et de l’électricité, les outils et machines à pédales sont considérées comme des technologies largement dépassées: c’est bien vite oublier l’importance historique qu’elles ont revêtu. On ne pourra jamais assez insister sur le progrès incroyable qu’elles ont représenté par rapport aux millénaires de labeur manuel. Les pédaliers captent la force humaine d’une manière quasi-optimale.

Image: Une fraise de dentiste à pédale.
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Le mouvement circulaire qui constitue le pédalage active les muscles de la cuisse (quadriceps) qui sont les muscles les plus gros et puissants du corps humain. De plus grâce au système de transmission, utiliser la bonne vitesse permet d’utiliser ces muscles à une vitesse optimale: environ 60 à 90 tours par minute. Des recherches menées au Xxe siècle ont démontré que les muscles exercent le maximum de puissance quand ils se contractent à intervalles rapides en rencontrant une faible résistance.

Historiquement, les équipements mobiles utilisés pour capter la force musculaire humaine utilisaient les mauvais muscles, et leurs opposaient des résistances trop grandes, à des vitesses trop faibles. Les cabestans et les tympans étaient bien plus efficaces, mais leur taille (et eur coût pour le tympan) limitait très fortement leur usage.

Image: Une ponceuse à pédales.
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Dans son livre Pedal Power in Work, Leisure and Transportation publié en 1977, David Wilson nous donne les trois raisons qui expliquent les échecs successifs des tentatives d’utilisation optimale de la force musculaire humaine:

“Premièrement, vouloir utiliser les mauvais muscles. A chaque fois que l’on attend une personne qu’elle exerce sa pleine puissance musculaire, par exemple pour soulever une charge ou pour pomper de l’eau hors d’un puis ou d’un fossé, on l’invite à utiliser les muscles de ses bras et de son dos. Deuxièmement, la vitesse de ce mouvement musculaire était souvent bien trop basse. On demandait aux travailleurs de pousser ou de soulever d’énormes charges en utilisant toutes leur forces, en espérant avancer de quelques centimètres. L’équivalent moderne de cette situation serait de demander à un cycliste de grimper une colline avec la vitesse la plus dure, ou à des rameurs de faire avancer un bateau equipé de très longues rames en ne faisant dépasser qu’une très courte partie de la rame dans le bateau. Troisièmement, le type de mouvement en lui-même, même effectué à la bonne vitesse et en utilisant les muscles des jambes pourrait s’avérer non-optimal pour des raisons assez complexes. »

L’histoire comporte de nombreux exemples de mauvaise utilisation des forces musculaires humaines : les navires de grande taille propulsés à la rame ou encore la plupart du travail fermier. Dans la troisième édition de Bicycling Science (2004), David Wilson écrit encore ces mots:

« Les mouvements musculaires de ces pauvres galériens étaient typiques de ce qui se faisait dans l’Antiquité : les muscles des mains, des bras et du dos étaient les plus sollicités tandis ce que les muscles les plus puissants, ceux des jambes, servaient simplement de support (les sièges coulissants des rameurs modernes n’existant pas encore). Le mouvement consistait alors à pousser ou tirer de toute ses forces contre une résistance qui cédait peu à peu. Chaque rame étant manœuvrée par cinq hommes assis côte à côte, celui se situant tout au bout de la rame vers l’intérieur du bateau devait effectuer des mouvements bien plus rapides que celui se situant au niveau du pivot. Et pourtant même l’homme au bout de la pagaie faisait travailler ses muscles à une vitesse bien trop lente pour être optimale. Il en était de même pour la plupart des travaux des champs ou des bois. Bêcher, creuser, scier, couper un arbre, utiliser une fourche et pelleter utilisent principalement les muscles des bras et du dos avec presque aucune force délivrée par les muscles des jambes. Dans la plupart de ces tâches, les muscles font face à une forte résistance qu’ils tentent de dépasser par la force brute. »

Et la Révolution Industrielle amena le Pédalier

Toutes ces actions et bien d’autres auraient pu être bien plus efficaces en utilisant des pédaliers, ce qui aurait grandement facilité la vie des personnes qui vivaient dans l’Antiquité et au Moyen Âge. Cependant, bien que cette mécanique nous paraisse aujourd’hui élémentaire, le pédalier n’aurait pas pu être inventé plus tôt dans l’histoire humaine. Les pédales et leurs manivelles sont des produits de la Révolution Industrielle, que seules l’existence d’un acier peu coûteux (lui même un produit de l’exploitation des énergies fossiles) et des techniques de production de masse ont rendu possible. Ainsi des pièces solides et compactes ont pu voir le jour : pignons, chaînes, roulements à billes etc.

Image: Une scie circulaire utilisant une pédale-levier.
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Avant cette époque, les matériaux disponibles étaient trop fragiles pour soutenir les énormes forces qui s’exerçaient sur eux, et cela est encore plus vrai pour les pédaliers stationnaires que pour les bicyclette car la pression s’exerçant sur les différents composants est plus élevés pour les usages stationnaires. Dans les années 1970 des expériences furent faites, visant à recréer des pièces (pédales, manivelles, roulements à billes) de machines à pédales stationnaires en utilisant des matériaux pré-industriels comme le bois, et elles échouèrent à y parvenir. Si la structure porteuse d’une machine outil peut être fait de bois ou de bamboo, l’acier reste une meilleure option. En effet contrairement à ce que l’on voit pour les bicyclettes, une structure lég_re n’est pas un avantage pour une machine stationnaire.

Il faut réaliser que les machines à pédalier (et les vélos) ne peuvent pas se passer d’énergies fossiles. Si l’on décide de brûle l’intégralité des énergies fossiles pour faire rouler nos voitures, le vélo ne sera plus une option non plus, il faudra repasser à la marche. Si l’on consume toutes les énergies fossiles en utilisant de l’électricité pour nos appareils, on ne pourra plus revenir à des appareils à pédales, mais directement au labeur humain qui les a précédés.

Image: Une ponceuse à pédales.
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Et pourtant c’est exactement là où nous semblons collectivement nous diriger. Malgré tous ses avantages, les jours de gloire du pédalier furent brefs, ils tombèrent dans l’oubli peu de temps après l’arrivée du moteur à à combustion et des moteurs électriques. Bien que les machines à pédales aient été conçues pour durer 100 ans, voire plus, une grande partie fût fondue pendant les deux Guerres Mondiales. La Barnes Company, l’un des fabricants les plus célèbres, se détourna des machines à pédaliers dans les années 1920 et en stoppa complètement la production en 1937.

Le renouveau des machines à pédales

C’est dans les années 1970 que les machines à pédales refirent leur apparition en même temps que le vélo, à la suite du premier choc pétrolier. Cela faisait plus d’un demi-siècle que la recherche et développement avait cessé sur les machines à pédales stationnaires, tout était à faire pour remettre cette technologie au goût du jour.

Plusieurs particuliers et organisations entamèrent des expérimentations avec une nouvelle génération de machines à pédalier. Leurs efforts n’aboutirent malheureusement pas à la commercialisation de nouvelles machines mais la technologie fût grandement améliorée. Il était maintenant possible d’utiliser le pédalier pour faire fonctionner la quasiment toute machine imaginable. De plus, plusieurs inventeurs réussir à concevoir des modules à pédales universels qu’il était possible de connecter à toutes sortes de machines et d’outils. [Voir la partie 3 de l’article: L’Avenir Négligé de la Bicyclette Stationnaire.

Image: Un tour à pédales.
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Malheureusement, dès la crise pétrolière achevée l’intérêt porté au pédalier s’évanouit à nouveau, les recherches s’arrêtèrent presque complètement pour encore une vingtaine d’années. La deuxième renaissance des pédaliers eût lieu au milieu des années 1990 alors que vinrent sur le tapis les inquiétudes à propos du réchauffement climatique et du pic pétrolier, et cette renaissance est toujours en cours.

Cependant l’intérêt que l’on voit ressurgir actuellement est très différentes des recherches qui l’ont précédé : il est presque uniquement concentré sur la production d’électricité, ce qui n’est absolument pas une manière efficace d’exploiter l’énergie produite par pédalage.

De plus il semblerait que les leçons des années 1800 et 1970 aient été passées à la trappe, car les machines issues des recherches actuelles sont loin de capter de manière optimale l’énergie issue du pédalage ; elles ne permettent pas de se servir de l’énorme potentiel du pédalier et pire, ont un impact écologique lamentable. Voir la partie 2 de l’article: “Bike powered electricity generators are not sustainable”.

Sources (dans l’ordre d’importance)