Les architectes du monde entier ont démontré l’utilité des bâtiments chauffés et rafraichis grâce à leur conception plutôt que par les énergies fossiles. Cependant, la possibilité d’appliquer ce raisonnement à des quartiers ou même à des villes entières a retenu nettement moins d’attention.
Concevoir une maison solaire passive, généralement indépendante, n’a pas grand-chose à voir avec la planification d’une ville densément peuplée où chaque bâtiment est chauffé et rafraichi uniquement grâce aux énergies renouvelables. Et pourtant, si nous voulons que l’architecture solaire passive dépasse le statut de lubie ou de simple curiosité, c’est exactement ce dont nous avons besoin. La recherche contemporaine, qui combine les savoirs anciens et les nouvelles technologies, montre que les villes solaires passives représentent une option réaliste jusqu’à des densités de population étonnamment élevées.
L’architecture solaire passive existe depuis des milliers d’années et est même antérieure à l’apparition des fenêtres.
Elle requiert une bonne conception et une bonne orientation des bâtiments pour qu’ils puissent être chauffés correctement grâce au soleil. Couplée à d’autres solutions low-tech telles que les sous-vêtements thermiques, les vêtements chauffants — et la création de microclimats —, elle pourrait éliminer l’utilisation de combustibles fossiles et de biomasse pour chauffer les bâtiments d’une bonne partie de la planète.
Une maison solaire passive peut également, de manière indirecte, supprimer les besoins énergétiques en climatisation, en ventilation (grâce à la ventilation naturelle), et en éclairage de jour. De plus, ces bâtiments pourraient être équipés de chauffe-eaux solaires et de panneaux photovoltaïques, ce qui réduirait d’autant plus l’utilisation de ressources énergétiques non renouvelables. L’architecture solaire passive n’implique aucune nouvelle technologie, elle existe d’ailleurs depuis des milliers d’années et est même antérieure à l’apparition des fenêtres.
Historiquement, l’architecture a toujours tenu compte de son contexte et de son climat, dont découlaient l’emplacement, l’orientation, la forme et les matériaux des différentes constructions. Chaque région du monde possédait ainsi son ou ses styles d’architectures vernaculaires.
À l’inverse, l’architecture moderne a tendance à produire partout des bâtiments identiques, répondant davantage à une esthétique moderne commune qu’à leur contexte climatique. Ils sont faits des mêmes matériaux, suivent les mêmes formes et sont souvent implantés et orientés indifféremment de la course du soleil et de la provenance des vents dominants.
Les constructions modernes dépendent d’une consommation massive de combustibles fossiles bon marché pour le chauffage, la climatisation et l’éclairage. Sans cet approvisionnement, ils deviennent inhabitables pendant la majeure partie de l’année : ils sont trop froids, trop chauds ou trop sombres. Ce changement radical dans la conception architecturale est dû à la fois à l’arrivée de sources d’énergie peu chères et abondantes puis à l’urbanisation qui en découle.
La révolution industrielle a provoqué un exode rural et déplacé des millions de personnes des campagnes vers les villes. Lorsque la majeure partie de la population vivait et travaillait encore dans des fermes ou des hameaux, il était relativement simple d’orienter sa maison en fonction du soleil. Dans un environnement urbain, l’orientation est généralement déterminée par le tracé des rues, et un bâtiment peut donc facilement faire de l’ombre à un autre. Plus les immeubles sont hauts, plus les apports solaires sont limités pour les bâtiments voisins.
Des bâtiments solaires aux villes solaires
Cela ne signifie pas que la conception solaire passive ne pourrait être appliquée à des villes entières. Il suffit juste d’une planification plus élaborée. L’accès à l’énergie solaire d’un bâtiment n’est déterminé que par quatre facteurs : la latitude (la distance par rapport à l’équateur) du bâtiment, sa pente, sa forme et son orientation.
L’accès à l’énergie solaire d’une ville (ou de tout autre environnement bâti) est déterminé par sept facteurs : les quatre mentionnés ci-dessus auxquels s’ajoutent la hauteur des bâtiments, la largeur et l’orientation des rues. La ventilation est, quant à elle, déterminée par les mêmes facteurs, à l’exception du fait que la latitude est remplacée par l’orientation des vents dominants.
Dans les années 1970, alors que la plupart des recherches sur l’architecture solaire passive était ciblée sur les maisons individuelles, Ralph Knowles, professeur émérite à la USC’s School of Architecture (Los Angeles) et auteur de trois ouvrages fascinants sur le sujet en 1974 1981 et 2006 (vois sources), se lança dans quarante années de recherche sur les villes à orientation solaire.
Knowles a développé et affiné une méthode qui établit un équilibre optimal entre la densité de population et l’apport solaire : « l’enveloppe solaire ». C’est un gabarit formé par un ensemble de frontières théoriques autour de chaque bâtiment en construction, qui régule son développement en fonction de la course du soleil.
Les bâtiments qui sont dans cette « enveloppe solaire » ne font pas d’ombre sur les bâtiments voisins pendant les périodes durant lesquelles les apports solaires sont les plus faibles.
Les bâtiments qui sont dans cette « enveloppe solaire » ne font pas d’ombre sur les bâtiments voisins pendant les périodes durant lesquelles les apports solaires sont les plus faibles, et assurent donc un apport suffisant aux systèmes solaires passifs et actifs. D’un côté, l’enveloppe solaire permet aux architectes de concevoir en fonction du soleil sans craindre que leurs idées ne soient rendues caduques par les futurs bâtiments. Et d’un autre côté, elle reconnaît le besoin de développement urbain et de fortes densités de population, en définissant les plus grands volumes possibles qui ne projetteraient pas d’ombres au mauvais endroit au mauvais moment.
Knowles et ses étudiants ont atteint des densités bien supérieures à la moyenne des villes européennes et américaines, si l’on exclue les quartiers de grandes hauteurs, comme Manhattan.
Modification des pratiques traditionnelles de zonage.
L’enveloppe solaire est en fait une modification relativement simple des pratiques de zonage courantes, qui définissent également des limites théoriques qui bornent un projet de construction en déterminant la hauteur, la largeur et la profondeur maximales des futurs bâtiments. L’approche la plus stricte dans le zonage conventionnel prescrit des hauteurs maximales, définies en mètres, en nombre d’étages, ou les deux. Une seconde approche, plus flexible, fixe des limites basées sur un ratio entre la surface de terrain constructible et la surface de plancher construite.
Par exemple, un ratio surface de plancher / surface de la parcelle de six signifie que les architectes peuvent construire l’équivalent de six fois la superficie constructible du terrain. Ils pourraient par exemple bâtir sur six niveaux sur l’ensemble de la surface du site, ou sur douze niveaux sur la moitié seulement du terrain.
Bien que ces deux méthodes de zonage permettent une certaine quantité d’apport solaire dans une ville, elles sont loin d’être optimales. Le principal problème est qu’elles ne déterminent pas l’orientation du bâtiment en tenant compte de son impact solaire, ce qui peut être tout aussi déterminant que la hauteur du bâtiment. Par exemple, un gratte-ciel dont les plus grandes façades sont orientées à l’est et à l’ouest projette une ombre d’hiver relativement petite à midi, tandis qu’un autre, dont les plus grandes façades seraient orientées au nord et au sud, plonge dans l’ombre une zone beaucoup plus importante pendant les périodes les plus ensoleillées de la journée (voir illustration ci-dessus). La prise en compte de l’orientation améliorerait donc considérablement l’apport solaire des bâtiments environnants, sans pour autant sacrifier la densité des logements.
La géométrie de l’enveloppe solaire.
Par rapport aux pratiques de zonage conventionnelles, l’enveloppe solaire produit une géométrie bien différente – les limites verticales de l’enveloppe sont dessinées par les mouvements quotidiens et saisonniers de la course du soleil. Ainsi, alors que les enveloppes de zonage conventionnelles ont la forme d’une boîte, l’enveloppe solaire a une forme plus complexe avec à la fois des plans verticaux et inclinés.
En conséquence, les bâtiments et les ilots de la ville qui remplissent ces enveloppes solaires théoriques sont plus susceptibles d’avoir des formes uniques. Une des façades d’un immeuble ne ressemblerait pas à une de ses autres façades, pas plus que la façade de l’autre côté de la rue. Dans l’hémisphère nord, la construction aurait tendance à être plus basse sur la partie sud d’une rue que sur la partie nord, où une exposition sud importante serait préservée. Les rues prennent alors un caractère directionnel, avec une orientation solaire clairement reconnue.
La rencontre entre des bâtiments contigus pourra alors se faire moins brusquement le long des limites de propriété. Les immeubles de grande hauteur se regrouperaient à l’extrémité sud-ouest de l’îlot, ceux de hauteur modérée à l’extrémité nord-est et les bâtiments les plus bas occuperaient la section intermédiaire du pâté d’immeubles. Les bâtiments situés dans les angles pourraient être plus hauts, puisque leurs ombres pourraient s’étendre à travers la rue dans deux directions au lieu d’une seule.
L’enveloppe solaire permet d’apporter des éléments architecturaux d’une grande cohérence. Par exemple, des toitures terrasses apparaissent là où les pentes de l’enveloppe coupent les géométries rectilignes des bâtiments. Les cours sont un autre élément crucial car elles permettent un apport de lumière et de chaleur dans les intérieurs encaissés. Les sheds permettent la pénétration du soleil d’hiver dans les cages d’escaliers pour les étages inférieurs souvent sombres. Les nombreux écrans solaires et porches protègent du soleil d’été.
Déterminer l’apport solaire
L’enveloppe solaire n’est pas seulement définie par la course du soleil, mais aussi par des paramètres déterminés par l’architecte ou l’urbaniste. Le choix de ces paramètres déterminera l’équilibre entre l’apport solaire et le potentiel développement urbain.
Le choix le plus important est de définir les « durées limites » au cours desquelles il ne doit pas y avoir d’ombres portées sur les terrains voisins. Plus la période d’apport solaire quotidien est importante, plus le volume constructible est faible. De toute évidence, il est impossible de fixer ces « durées limites » du lever au coucher du soleil, trop peu de bâtiments pourraient être construits. Pour l’architecture solaire passive et en fonction du climat, on estime de 4 à 6 heures l’apport solaire minimum nécessaire par journée d’hiver.
La durée d’apport solaire pourrait également être fixée par une quantité minimum d’énergie fournie au lieu de déterminer un minimum d’heures d’ensoleillement. Dans ce cas, les « durées limites » changeraient au cours de l’année. Un autre paramètre à définir est la « barrière de l’ombre ». Elle détermine la hauteur minimale à partir de laquelle l’apport solaire doit être assuré, par exemple zéro, trois, six mètres… au-dessus du niveau de la rue. Il est envisageable de permettre le fait que les garages soient presque toujours dans l’ombre, afin d’augmenter le volume constructible et donc la densité urbaine.
Et les bâtiments existants ?
Une enveloppe solaire peut être conçue pour un bâtiment individuel mais aussi pour un groupe de maisons, un quartier, ou même une ville entière. Il s’agit d’un processus assez simple dans le cas d’un ensemble conçu à partir de rien, mais généralement, les bâtiments existants présents compliquent la conception de l’enveloppe solaire. Quand elle est appliquée dans un environnement déjà bâti, chaque nouvelle construction devra tenir compte des bâtiments existants. Chaque nouvelle phase de développement change donc le contexte dans lequel la prochaine enveloppe sera générée.
Il est important de noter que l’enveloppe solaire n’a pour but que de protéger les propriétés voisines. C’est à l’architecte d’assurer l’apport solaire aux bâtiments à construire, en s’attaquant aux problèmes d’ombrage et d’ensoleillement à l’intérieur de l’enveloppe elle-même. Pour les grands terrains, le volume d’une enveloppe solaire est donc supérieur à celui des bâtiments qui l’occupent.
Les Villes solaires de l’Antiquité
Les recherches de Knowles s’appuient sur des connaissances anciennes, notamment sur les villes solaires de la Grèce antique et sur les communautés solaires des Natifs Américains Pueblos dans ce qui est aujourd’hui le sud-ouest des États-Unis. Dans la Grèce Antique ont été construites des villes entières dont l’exposition solaire était optimale.
Par exemple, au cinquième siècle avant JC, un quartier d’environ 2 500 habitants fut construit dans la ville d’Olynthus. Les rues ont été construites perpendiculairement les unes aux autres, et s’étendaient d’est en ouest (il s’agit des rues horizontales sur plan ci-dessous), afin que toutes les maisons (cinq de chaque côté de la rue) puissent profiter d’une exposition sud.
Un plan de ville quadrillé dans les directions des quatre points cardinaux n’était pas nouveau à l’époque, et n’est pas non plus la preuve d’une conception visant une exposition solaire maximale. Mais les Grecs sont tout de même allés plus loin. Dans A Golden Thread: 2500 Years of Solar Architecture and Technology (voir sources, non traduit en français), Ken Butti et John Perlin notent que toutes les maisons étaient systématiquement construites autour d’une cour orientée au sud:
« Les maisons dont la façade sud donnait sur la rue étaient desservies directement par leur cour depuis la rue. Alors que pour les maisons dont la façade nord donnait sur la rue, un passage permettait de traverser la maison pour rejoindre la cour, toujours exposée sud et qui desservait tous les espaces de la maison. »
Conformément à l’éthique démocratique de l’époque, la hauteur des bâtiments était strictement limitée afin que chaque cour bénéficie de la même quantité d’ensoleillement :
« En hiver, les rayons du soleil étant rasants, ils traversaient la cour exposée au sud puis le portique, pour pénétrer dans la maison et chauffer les pièces principales. Les murs des façades nord étaient faits de briques d’adobe d’environ 50 centimètres d’épaisseur pour se protéger des vents d’hiver du nord. »
Un autre exemple évident de planification solaire de la Grèce antique était Priène (illustration ci-dessus), reconstruite en 350 avant JC et située dans l’actuelle Turquie. La ville comptait environ 4000 habitants vivant dans 400 maisons. Ses bâtiments et son plan étaient similaires à ceux d’Olynthus, mais parce que la ville a été construite sur le flanc d’une montagne escarpée, la majorité des quinze rues secondaires (sur un axe nord-sud) étaient en fait des escaliers. Les sept avenues principales étaient en terrasse sur un axe est-ouest.
Les Natifs Américains
L’ancien peuple Pueblo ou « Anasazi » a construit un certain nombre de communautés sophistiquées orientées vers le soleil au cours des XIe et XIIe siècles après JC dans ce qui est aujourd’hui le sud-ouest des États-Unis : Long House à Mesa Verde, Pueblo Bonito au nord du Mexique et la « ville du ciel » d’Acoma.
Ces communautés ont suivi un style de construction différent de celui des Grecs. Le peuple Pueblo a construit des bâtiments en terrasses pouvant atteindre jusqu’à trois étages. Ces bâtiments se seraient parfaitement intégrés dans une enveloppe solaire aux lignes inclinées.
Acoma pueblo (illustration ci-dessus) est un exemple de ces communautés planifiées en fonction du soleil. Le bâti est composé de trois rangées de maisons construites en escalier le long de rues orientées sur un axe est-ouest, de sorte que chaque maison profite d’une façade exposée au sud. Les rues ont une largeur suffisante pour permettre aux ombres portées des bâtiments d’un des côtés de la rue de ne couvrir que la rue en s’arrêtant juste avant la rangée de bâtiments suivants.
Heliodon
La recherche de Knowles combine les meilleurs éléments de ces conceptions historiques avec une technologie moderne qui facilite grandement la génération d’enveloppes solaires. L’héliodon, inventé dans les années 1930, est un outil qui crée une relation géométrique entre une maquette architecturale et une représentation du soleil. Plus récemment, différents logiciels ont rendu la technologie de l’héliodon beaucoup plus accessible en permettant la génération rapide d’enveloppes solaires même très complexes.
Afin d’assurer un bon apport solaire et une bonne ventilation, de nombreuses villes en Europe et aux Etats-Unis ont adopté différents règlements d’urbanisme entre les années 1850 et les années 1930.
Les Grecs ont principalement eu recours à la conception solaire passive à cause d’une grave pénurie de bois de chauffage, mais pas seulement : ils étaient convaincus que la chaleur solaire était bonne pour la santé. D’ailleurs, si l’apport solaire est redevenu une question centrale dans le monde occidental lors de l’urbanisation du XIXème et du début du XXème siècles, la santé publique était la seule et unique motivation.
La révolution industrielle a apporté de grandes quantités d’énergies bon marché, mais également beaucoup de maladies. Des millions de personnes se sont retrouvées dans des bâtiments surpeuplés dans des rues étroites. Ces quartiers ont rapidement été ravagés par des épidémies mortelles telles que la tuberculose, le choléra, la variole ou la fièvre typhoïde. La plupart des experts médicaux étaient convaincus que ces maladies étaient causées par un manque d’air frais et de soleil.
Dans son livre Healthy Hospitals (non traduit en français), parut en 1893, Douglas Galton écrit :
«Après l’air, c’est la lumière et le soleil qui sont essentiels à la croissance et à la santé; et ce sont les meilleurs assistants de la Nature pour permettre au corps de se débarrasser de ces conditions que nous appelons maladie. Il ne s’agit pas seulement de la lumière du jour, mais de la lumière du soleil ; en effet, l’air frais doit être réchauffé par le soleil, pénétré par le soleil. Il a été récemment démontré que le soleil d’un jour de décembre tue les spores du bacille de l’anthrax. »
En 1854, John Snow a observé qu’une épidémie de choléra pouvait être attribuée à la consommation d’eau contaminée dans un puits public, prouvant que la maladie la plus dévastatrice n’était pas causée par un air vicié ou par un manque de soleil mais par des germes présents dans l’eau potable.
Cependant, il faudra un demi-siècle de plus pour que sa théorie soit largement acceptée. De plus, certains maux ont en effet été guéris ou atténués par le soleil et l’air frais. Par exemple, le rachitisme, une maladie déformant les os, endémique chez les enfants citadins du XIXe siècle, est dû au manque de soleil.
Au tournant du siècle, les médecins d’Europe et des États-Unis ont commencé à promouvoir les bains de soleil pour aider à prévenir des maladies. Fait intéressant, alors que Knowles a commencé ses recherches sur l’enveloppe solaire uniquement pour des raisons de production d’énergie, il a progressivement changé ses priorités, travaillant plus largement sur l’amélioration la qualité de vie (voir son dernier livre (2006) en particulier).
Apport solaire dans les villes du XIXe siècle.
Afin d’assurer l’accès au soleil et à l’air frais, de nombreuses villes d’Europe et des États-Unis ont établi une variété de règlements d’urbanisme entre les années 1850 et 1930. Bien que Knowles ne parle pas de cette période, il est intéressant de comparer ces pratiques antérieures de zonage à l’enveloppe solaire.
La plupart des règlements d’urbanisme étaient définis par la hauteur des bâtiments et la largeur de rues. L’architecte de Boston William Atkinson, qui était à l’époque l’un des défenseurs de la conception solaire passive, a perçu les limites de ces règlements et a souligné le fait que la forme du bâtiment était tout aussi importante - la contrôler pourrait en effet augmenter à la fois le potentiel de développement urbain et les apports solaires.
Dans son livre de 1912 The Orientation of Buildings, or Planning for Sunlight (non traduit en français), il écrit :
«La méthode qui consiste à limiter la hauteur des bâtiments par un plan horizontal, soit à une hauteur fixe, soit à une hauteur proportionnelle à la largeur de la rue, est simple à appliquer mais n’est pas scientifique, car elle suppose que la bonne hauteur est la même pour toutes les façades du bâtiment. » « Alors qu’en réalité, les parties les plus éloignées de la rue pourraient tout à fait être plus hautes, proportionnellement à leur éloignement de la rue. La hauteur d’un bâtiment devrait donc être limitée par un plan oblique tracé à un certain angle partant du côté opposé de la rue. »
Atkinson s’est inspiré du règlement parisien de 1902 (une adaptation du règlement original d’urbanisme de Haussmann), qui ne régulait pas uniquement la largeur des rues et la hauteur des bâtiments, mais introduisait également une règle régissant la forme des bâtiments. L’illustration ci-dessus (tirée du livre d’Atkinson) montre que la façade d’un immeuble parisien (la ligne verticale AA) ne pouvait pas mesurer plus de 20 mètres, tandis que les combles (dont la hauteur était également déterminée par la largeur de la rue mais ne pouvait pas dépasser 10 mètres) étaient courbes.
Il est donc plus probable que la lumière pénètre dans les parties inférieures du bâtiment sur le trottoir d’en face, tout en maximisant la densité de logement. La capitale anglaise avait un règlement d’urbanisme quelque peu similaire depuis le London Building Act de 1894, mais prescrivait des toits inclinés et non des toits courbes. Les gratte-ciel apparus Aux Etats-Unis, à la suite de la mise en place du règlement d’urbanisme de 1916 « the 1916 Standard Zoning Enabling Act » a également règlementé la forme des bâtiments, bien que la hauteur même des gratte-ciel limitaient nettement l’apport solaire des immeubles voisins.
L’ « Eixample » de Barcelone
L’exemple le plus intéressant d’urbanisme solaire du XIXe siècle est l’«Eixample» de Barcelone (terme catalan pouvant être traduit par «agrandissement» ou «expansion»), conçu par Ildefons Cerdà i Sunyer. L’Eixample de Barcelone (Il abrite la Sagrada Familia et d’autres monuments célèbres de Gaudí) peut être considéré comme le plus grand quartier d’architecture solaire existant. De plus, son histoire illustre bien la tension entre l’accès au soleil et les besoins de développement.
Contrairement au baron Georges-Eugène Haussmann à Paris, Cerdà n’a pas eu à démolir Barcelone pour adapter la ville à l’immigration massive de l’époque. La Barcelone médiévale (la grande zone sombre sur le plan ci-dessus) était entourée d’une grande plaine et de quelques petits villages à la périphérie (également en noir).
Dans les années 1850, Cerdà a conçu un grand plan de rues en « damier » entourant le centre ancien et annexant les villes périphériques. Le quartier, dont la superficie est aujourd’hui de 7,46 km2, se compose de très grands blocs mesurant 113 mètres de côté séparés par des rues de 20 mètres de large entrecoupées de quelques boulevards de 50 mètres de large.
Cerdà avait pour objectif de maximiser l’accès au soleil (et la ventilation) de chaque appartement de quatre manières différentes. Premièrement, il a limité la hauteur des constructions à 16 mètres pour les rues de 20 mètres de large. Deuxièmement, il a ordonné que les blocs ne puissent être construits que sur deux des quatre côtés du carré, soit parallèlement les uns aux autres, soit en forme de L (illustration sur la droite ci-dessous). Cela a permis de créer de grandes cours intérieures et d’introduire de la lumière et de l’air frais sur au moins deux des façades de chacun des bâtiments.
L’« Eixample » de Barcelone peut être considéré comme le plus grand quartier d’architecture solaire existant aujourd’hui.
Troisièmement, tous les blocs de la ville ont des coins tronqués, améliorant encore l’apport solaire. Enfin, il a décidé de ne pas aligner le plan des rues sur les points cardinaux, mais de les orienter à 45 degrés de ceux-ci. Comme nous le verrons plus tard, cela a permis d’obtenir des appartements ensoleillés et des rues ombragées tout au long de la journée.
Seuls les coins tronqués et l’orientation des rues ont survécu à cent cinquante ans d’histoire. Le plan de Cerdà a été très critiqué à l’époque. Le gaspillage trop important d’espace constructible, et donc d’argent, était le principal reproche qui lui était adressé.
En quelques années, les quatre côtés de chacun des blocs ont été construits. Et même la plupart des petites cours intérieures ont été remplies, mais avec des bâtiments bas de sorte que l’apport solaire des façades côté cour est resté plus ou moins intact. Progressivement, les lois concernant la hauteur des bâtiments ont été assouplies, passant de 16 à presque 30 mètres.
Cependant, l’accès au soleil a été conservé à tous les niveaux, en appliquant une règle de prospects qui imposait une implantation en retrait des nouveaux étages construits. Cela a créé des bâtiments en terrasse de forme comparable à ceux des communautés solaires des Natifs Américains. De cette façon, les promoteurs à la recherche de profits financiers ont finalement amélioré la densité des logements sans impacter l’apport solaire des bâtiments voisins.
Les bâtiments en terrasses et les coins tronqués de Barcelone, ainsi que les toits incurvés de Paris et les toits inclinés de Londres, peuvent tous être considérés comme des étapes embryonnaires menant à l’enveloppe solaire de Knowles. Cependant, Knowles a considérablement amélioré le concept de deux manières. Premièrement, il a appliqué le principe de la ligne oblique à l’ensemble du bâtiment, et non uniquement aux toits ou aux étages supérieurs.
Deuxièmement, ces lignes obliques coïncident précisément avec les rayons du soleil, ce qui n’était pas nécessairement le cas dans les exemples précédents. De plus, les règlements d’urbanisme vus précédemment produisaient des formes architecturales et des perspectives monotones, tandis que les bâtiments imaginés dans l’enveloppe solaire peuvent être plus variés, en fonction de leur emplacement et de leur environnement spécifique.
L’enveloppe solaire et l’orientation des rues
La taille et la forme d’une enveloppe solaire sont influencées par l’orientation des rues. Aux États-Unis, l’aménagement urbain est généralement basé sur une division géométrique du territoire. En règle générale, dans le Midwest et dans l’Ouest des Etats-Unis, les rues sont orientées sur les points cardinaux de sorte que les blocs rectangulaires s’étendent d’est en ouest et du nord au sud, suivant la grille jeffersonienne (ou « US Land Ordinance », appliquée en 1785).
Dans le sud des États-Unis, ainsi que dans une grande partie de l’Amérique latine, une grille similaire est apparue, à la seule différence qu’elle est orientée à 45° par rapport aux points cardinaux, avec des rues s’étendant donc du nord-est au sud-ouest et du nord-ouest au sud-est. Ces grilles ont été établies conformément à la loi des Indes, un manuel pour la construction et l’administration des colonies compilé par le roi d’Espagne en 1573.
En Europe, il y a relativement peu d’aménagements de villes quadrillées. L’existence de tissus urbains plus anciens, résultant de siècles de croissance non réglementée au Moyen Âge et à la Renaissance, a limité les expériences d’urbanisme. De nombreuses villes européennes ont été « modernisées » au tournant du XXe siècle, par l’aménagement de larges rues et boulevards qui traversent les parties les plus anciennes de la ville - Paris étant l’exemple le plus célèbre - mais fondamentalement, l’aléatoire règne toujours. L’enveloppe solaire peut être appliquée à toutes les dispositions de rues imaginables, même si elles sont chaotiques, avec des résultats différents.
William Atkinson : éviter l’orientation est-ouest et nord-sud
Dans L’orientation des bâtiments, ou la conception architecturale solaire, William Atkinson consacre un chapitre à l’importance de l’orientation des rues dans la conception solaire. Il soutient que la grille jeffersonienne devrait être évitée afin de fournir un apport solaire optimal aux villes. Au lieu de ça, il rejoint Cerdà et encourage à l’utilisation de la grille espagnole :
« Lorsque les rues sont disposées à angle droit les unes par rapport aux autres selon un plan en damier, la meilleure distribution de lumière est obtenue lorsque la moitié des rues s’étend du nord-est au sud-ouest et l’autre moitié du nord-ouest au sud-est. Il est regrettable que dans de nombreux cas où le plan en damier ait été adopté, les rues aient été tracées selon des axes nord-sud et est-ouest, ce qui est le pire arrangement possible. »
Une rue orientée est-ouest est à l’ombre durant 6 mois de l’année.
Atkinson convient que « si nous ne basions notre jugement que sur la quantité de lumière reçue par chaque fenêtre, la meilleure orientation d’un bâtiment serait en effet d’est en ouest ». Cependant, il note un inconvénient de taille à cette orientation : elle implique une « zone d’ombre complète » sur toute la façade nord du bâtiment pendant 6 mois de l’année (de l’automne au printemps). Alors qu’en orientant le plan du bâtiment en diagonale par rapport aux points cardinaux, toutes les façades reçoivent de la lumière tout au long de l’année. Et il en va de même pour les rues :
« Une rue orientée est-ouest est à l’ombre durant 6 mois de l’année, et les façades nord de la rue sont perpétuellement dans l’ombre. En revanche, avec l’orientation en diagonale par rapport aux points cardinaux, les ombres portées des bâtiments sur la rue sont nettement moins importantes. »
Ralph Knowles : ça dépend
Knowles a effectué la plupart de ses recherches à Los Angeles, ce qui facilite la comparaison des deux modèles de grille, car la ville se compose à la fois d’une grille espagnole plus ancienne et d’une grille Jeffersonienne plus récente (illustration ci-dessous). Knowles reconnaît que la grille Jeffersonienne n’est pas une solution idéale :
« Les rues qui s’étendent d’est en ouest dans une zone bâtie auront tendance à être ombragées toute la journée en hiver. Elles restent donc sombres et froides. En revanche, les rues qui s’orientent du nord au sud sont éclairées et chauffées en milieu de journée. En été, les rues nord-sud seront donc ombragées le matin et l’après-midi, mais recevront un maximum de soleil à midi. »
« Du point de vue de l’orientation solaire, la grille jeffersonienne laisse à désirer. Ses rues est-ouest sont trop sombres et trop froides en hiver, et ses rues nord-sud trop lumineuses et trop chaudes en été. À Los Angeles, la grille espagnole, plus ancienne, semble avoir plus d’avantages en ce qui concerne les qualités d’éclairage et de chaleur des rues. En hiver, chaque rue reçoit la lumière et la chaleur directe du soleil de 9 h à 15 h, ce qui correspond aux six heures où le rayonnement est le plus intense, et chaque rue profite de l’ombre pendant la majeure partie des jours d’été. »
La grille qui est le meilleur compromis entre un apport solaire optimum et une densité de construction maximale est celle où les longs blocs rectangulaires s’étendent d’Est en Ouest.
D’un autre côté, la grille classique alignée sur les points cardinaux présente elle aussi des avantages. Knowles démontre que l’enveloppe solaire d’un îlot imaginé dans une grille jeffersonienne contiendra un volume constructible plus important que celle d’un îlot imaginé dans une grille espagnole :
« Généralement, la plus grande hauteur, et donc le plus grand volume constructible, peuvent être atteints au sein de la grille jeffersonienne. La grille espagnole permet un meilleur ensoleillement de la rue, mais limite la densité de construction. D’autres principes et valeurs peuvent donc dicter l’orientation de la grille, mais, dans la seule optique de densité maximale, la grille jeffersonienne est plus avantageuse. »
Au sein de la grille jeffersonienne, les bâtiments orientés est-ouest développent un plus grand volume constructible dans l’enveloppe solaire que ceux orientés nord-sud. Knowles a calculé que, pour les parcelles de même forme et de même proportion (1 pour 3), un chantier orienté sur un axe est-ouest générera 40 % de volume supplémentaire et 400 % de surface de façade supplémentaire orientée au sud.
En résumé, la grille la mieux adaptée à la fois à un apport solaire optimal et à une densité de construction maximale est celle composée de longs blocs rectangulaires qui s’étendent d’est en ouest - comme c’était le cas dans les communautés solaires de la Grèce antique et à Acoma Pueblo.
Combiner le meilleur des deux grilles
Un problème demeure cependant. Dans nos villes, les maisons sont plutôt orientées en fonction de la rue que du soleil. Si une rue est orientée est-ouest, seuls les bâtiments côté nord de la rue bénéficient d’une façade sud sur rue (à condition que les bâtiments du côté sud de la rue ne les ombragent pas).
Les bâtiments du côté sud de la rue ne bénéficient donc d’une exposition au sud que sur leur façade arrière. Et s’il y a des rues est-ouest, il y a aussi des rues nord-sud, dans lesquelles aucun des bâtiments ne bénéficiera de l’exposition idéale au sud.
Pour résoudre ce problème, Knowles revient à la solution des Grecs anciens, en utilisant des cours et des allées courbes. De plus, il montre que le concept peut encore être amélioré. On peut l’observer dans le projet Bunker Hill, pour lequel une enveloppe solaire a été conçue pour un grand terrain vide, au cœur de la grille espagnole du centre de Los Angeles.
Une des conceptions pouvant s’adapter à cette enveloppe solaire consiste en une construction traversée par une rue intérieure composée d’une séquence de grands et petits carrés, se déversant en cascade le long d’une diagonale allant du bord supérieur au bord inférieur du site.
Autour de midi, la rue est entièrement baignée de soleil, car elle s’étend du nord au sud, comme elle est en diagonale par rapport à la grille espagnole. En hiver, à 15 heures, l’espace public est toujours ensoleillé, tout comme les façades exposées sud-est de la rue intérieure. « Un réglage aussi sensible du positionnement et de la forme du bâtiment » écrit Knowles « permet de tirer parti des meilleurs aspects des deux types de grille. »
Lorsque l’on cherche à combiner les avantages de l’apport solaire avec les conditions de vent, des compromis similaires peuvent être trouvés. Knowles :
« Parfois, des ensembles complexes de forces naturelles s’accordent de sorte que, par exemple, les vents et soleil dont nous souhaitons bénéficier viennent de la même direction. Dans ces circonstances bienheureuses, le bâtiment peut donc être orienté et ouvert plein sud de manière à capter à la fois le soleil et le vent. Pour Les autres cas, qui sont les plus fréquents, les forces naturelles agissent le plus souvent de façon incongrue, ce qui impose de faire des choix. »
« Le soleil et le vent peuvent venir de directions différentes. Lorsque des choix sont possibles, une échelle de valeurs doit être définie. Par exemple, si l’apport solaire est prioritaire, l’ensemble du bâtiment s’orienterait au sud. L’adaptation à un vent d’ouest serait alors gérée formellement dans un second temps pour permettre une ventilation naturelle. »
Au fil des ans, Knowles et ses étudiants ont effectué de nombreuses études sur le potentiel de développement de l’enveloppe solaire à Los Angeles. Celles-ci ont été effectuées sur des sites ayant des valeurs foncières différentes, mais aussi des topographies, des orientations de rues et des caractéristiques de quartier différentes afin de tester l’efficacité de l’enveloppe dans une grande variété de conditions.
La densité est difficile à définir et peut être mesurée de différentes manières. Une approche consiste à calculer le nombre de logements sur une unité de surface (acre, hectare, kilomètre carré ou mile carré), tandis qu’un autre calcul détermine le nombre d’habitants sur cette même unité de surface. Une troisième approche consiste à calculer le rapport entre la surface de plancher et la surface d’un terrain, ce qui donne le coefficient d’occupation des sols (C0S).
Toutes ces approches ont leurs inconvénients et il est préférable de les calculer simultanément pour permettre de faire des comparaisons fiables. La taille des appartements, leur taux d’occupation, le rapport entre les bureaux et les immeubles résidentiels et la quantité de places de stationnement font partie des principaux facteurs qui peuvent fausser les résultats de densité si une seule des méthodes est employée.
Knowles et ses étudiants ont atteint des densités allant jusqu’à 100 logements par acre (ou 247 logements par hectare) pour l’urbanisation résidentiel. Si l’on compte en moyenne deux personnes par appartement (Knowles ne donne pas de taux d’occupation), cela revient à 200 personnes par acre. Ces chiffres ont été obtenus sur la grille espagnole, avec des appartements d’une superficie moyenne de 93 m² (1000 pieds carrés), avec un minimum de 4 heures d’ensoleillement en hiver et une « barrière de l’ombre » à 6 mètres de haut. Pour le développement à usage mixte, Knowles obtient un COS (coefficient d’occupation des sols) allant jusqu’à 7,5.
De trois à sept étages.
Bien sûr, des appartements plus grands, des temps d’ensoleillement plus importants et des « barrières de l’ombre » plus basses ou même inexistantes réduiraient le potentiel de développement. En revanche, la densité serait plus importante si le projet était inscrit dans une grille Jeffersonienne.
Pour un terrain situé à Los Angeles, mesurant 45 x 65 mètres et bénéficiant d’un apport solaire garanti de 6 heures, une enveloppe solaire orientée en diagonale par rapport aux points cardinaux aura 1,5 fois moins de volume développable qu’une enveloppe solaire orientée est-ouest, et 1,3 fois moins qu’un terrain orienté nord-sud.
Dans l’ensemble, les densités maximales atteintes par Knowles et ses étudiants sont environ vingt fois supérieures à celles de la ville américaine moyenne (6 à 7 logements par acre). Cela signifie qu’une ville comme Los Angeles (5 à 7 logements par acre) pourrait être condensée par un facteur de 15 à 20, tout en assurant quatre heures d’apport solaire par jour à chaque foyer.
En se basant sur la relation entre la densité et le ratio surface / volume (une mesure énergétique de la forme du bâtiment), Knowles conclut que la hauteur idéale pour un immeuble de logements à Los Angeles est comprise entre trois et sept étages. Ces bâtiments - de la taille de ceux du Paris du XIXe siècle et de l’Eixample de Barcelone - offrent le plus grand potentiel énergétique tout en atteignant des densités raisonnables.
L’enveloppe solaire offre des densités jusqu’à 20 fois supérieures à la densité moyenne des villes américaines
En fait, les chiffres de densité obtenus par Knowles correspondent assez étroitement à ceux obtenus par les quartiers de Paris et de l’Eixample de Barcelone – qui sont encore aujourd’hui les grandes villes les plus densément peuplées d’Europe (malgré la quasi-absence de gratte-ciel).
Une analyse d’un îlot typique de l’Eixample (pas selon les plans originaux de Cerdà, mais selon son évolution et sa densification ultérieure) a conclu à un COS de 4,7, une densité de 93 logements par acre (soit 230 logements par hectares) et une densité de population de 145 habitants par acre.
Une étude d’un îlot haussmannien parisien classique – avec une cour intérieure - a conclu à un COS de 5, à une densité de 120 logements par acre (soit 297 logements par hectare) et une densité de population de 602 habitants par acre (voir image ci-dessus).
Les densités calculées sous l’enveloppe solaire peuvent également se comparer favorablement avec certains quartiers résidentiels de New York - la ville la plus densément peuplée d’Amérique du Nord - mais pas avec tous (photo ci-dessus), et encore moins avec ceux du début du XXe siècle (photo ci-dessous), qui ont atteint une densité de 331 logements par acre. Cependant, très peu de ces appartements sont correctement ensoleillés.
Il convient de noter que si les bâtiments de Knowles atteignent des densités comparables à celles des quartiers parisiens ou barcelonais, l’apport solaire y est bien meilleur, en particulier par rapport à Paris où l’orientation des rues (et donc des bâtiments) n’était pas contrôlée.
Améliorer le potentiel de développement
Des densités encore plus élevées et des bâtiments encore plus hauts pourraient être imaginés sous l’enveloppe solaire si de plus grandes parcelles étaient réunies, en particulier lorsque les îlots urbains sont orientés le long d’un axe est-ouest.
Cela répond à la relation géométrique entre les mesures de longueur, de surface et de volume ; doubler la longueur d’un terrain permettrait de doubler sa surface mais de tripler son volume. L’enveloppe d’un terrain de 30 mètres de long développe plus du double du volume d’une enveloppe de deux terrains adjacents de 15 mètres de long.
Cependant, il convient de rappeler que les bâtiments au milieu de l’enveloppe solaire développeront moins de volume en raison des questions d’ombres portées au cœur du site ; questions qui seront à résoudre par l’architecte.
Certaines conditions particulières, comme un parc ou un grand boulevard sur lesquels des ombres plus importantes pourraient être projetées sans nuire aux bâtiments voisins permettent également de construire des bâtiments plus hauts et donc d’atteindre des densités plus importantes. Un projet de construction situé à flanc de colline dans le centre de Los Angeles atteint une densité de 128 logements par acre (316 par hectare), car il est admis de faire de l’ombre sur un parc. En général, cependant, des densités plus élevées auront un effet négatif sur l’apport solaire. Si nous voulons chauffer et rafraîchir nos villes à l’aide de l’énergie solaire, la densité sera généralement limitée à environ 100 logements par acre.
Si nous considérions les plus fortes densités atteintes sous l’enveloppe solaire comme limite supérieure, nous pourrions aménager des villes dans lesquels les bâtiments ne consommeraient plus de combustible fossile, et où la densité resterait suffisamment élevée pour rendre les transports publics, le vélo et la marche attrayants.
Enfin et surtout, les résultats ci-dessus s’appliquent à Los Angeles. Ils sont donc utiles pour n’importe quelle autre ville située à une latitude de 34 degrés au nord ou au sud de l’équateur, comme Buenos Aires, Osaka, Sydney ou Montevideo. À d’autres latitudes, les hauteurs et donc le volume d’une enveloppe solaire seraient évidemment différents.
Si les heures limites d’ensoleillement sont maintenues constantes, la hauteur de l’enveloppe diminue à mesure que la latitude augmente, et vice versa, principalement en raison de l’effet critique du soleil d’hiver sur le versant nord de l’enveloppe solaire. Par conséquent, le volume d’une enveloppe solaire augmente avec la proximité de l’équateur ; le volume diminue vers les pôles nord et sud. Par exemple, à Paris (48 degrés de latitude), Barcelone (41 degrés) et New York (40 degrés) les enveloppes solaires seraient plus petites qu’à Los Angeles (34 degrés).
Plus proche de l’équateur, la position du soleil ne varie pas beaucoup tout au long de l’année, ce qui rend inutile l’approche traditionnelle de l’architecture solaire passive. Dans cette configuration, La principale préoccupation devrait donc être de se protéger du soleil et de sa chaleur pour limiter au maximum le recours à la climatisation. Cela pourrait impliquer d’orienter le bâtiment au nord.
Pour des latitudes plus élevées et pour avoir un meilleur accès à l’énergie solaire, Knowles suggère de mettre davantage l’accent sur les expositions est et ouest et de mettre en place des protections solaires pour le confort d’été. Outre la latitude, les pentes ont également des effets importants. Un versant sud dans un pays plus septentrional peut permettre d’atteindre des densités qui ne seraient normalement possibles que dans les pays du sud, tandis qu’un versant nord provoque le contraire.
Selon Knowles, des recherches à propos de l’enveloppe solaire ont été réalisées jusqu’à Bratislava (48 degrés) et Honolulu (21 degrés), ce qui le conduit à conclure, peut-être de manière un peu trop optimiste, que « les bénéfices de l’enveloppe solaire peuvent être exploités dans le monde entier ».
Faire des compromis
La densité est un des sujets de prédilection des écologistes, qui soutiennent que les villes densément peuplées sont la solution pour réduire les besoins énergétiques liés aux transports. En revanche, l’enveloppe solaire montre qu’au-delà d’un certain seuil, la densité peut également augmenter les besoins énergétiques, notamment ceux liés au chauffage, à la climatisation ou à l’éclairage des bâtiments.
Cela signifie qu’il serait probablement sage de viser un compromis. Si nous considérions les plus fortes densités atteintes sous l’enveloppe solaire comme limite supérieure, nous pourrions imaginer des villes dans lesquels les bâtiments ne consommeraient plus de combustible fossile, et où la densité resterait suffisamment élevée pour rendre les transports publics, le vélo et la marche attrayants.
Sources
- “Ritual House: Drawing on Nature’s Rhythms for Architecture and Urban Design”, Ralph L. Knowles, 2006.
- “Sun Rhythm Form”, Ralph L. Knowles, 1981
- “Energy and Form: An Ecological Approach to Urban Growth”, Ralph L. Knowles, 1974
- “A Golden Thread: 2500 Years of Solar Architecture and Technology”, Ken Butti and John Perlin, 1981, reprinted in 2009
- “The orientation of buildings, or planning for sunlight”, William Atkinson, 1912
- “Teoría general de la urbanización y aplicación de sus principios y doctrinas a la reforma y ensanche de Barcelona”, Ildefons Cerdà i Sunyer, 1867
- “Ildefonso Cerdá”, “Distrito del Ensanche” & “Plan Cerdá”, Wikipedia Spanish - “Walks Through Lost Paris: A Journey Into the Heart of Historic Paris”, Leonard Pitt, 2006
- “Responsive and sustainable architectural strategies for temperate regions”, S.M. Mofidi, 2005 (PDF) - “The City as a Work of Art: London, Paris, Vienna”, Donald J. Olsen, 1986
- “Spanish city planning in North America”, Dora Crouch, Daniel Garr, Axel Mundigo, 1982
- “The Density Atlas”, MIT (website) - “Visualizing density” (PDF)