L’économie circulaire est la nouvelle expression magique des partisans du développement durable. Elle promet l’idéal d’une croissance économique sans destruction ni déchets. Cependant, ce concept ne se concentre que sur une infime part des ressources utilisées et ne prend pas en compte les lois de la thermodynamique.
Introduction à l’économie circulaire
L’économie circulaire est devenue pour de nombreux gouvernements, institutions, entreprises et organisations environnementales, l’une des composantes majeures d’un plan pour réduire nos émissions de carbone. Dans une économie circulaire, les ressources seraient continuellement réutilisées, ce qui signifie qu’il n’y aurait plus d’activité minière ni de production de déchets. Le principal effort porterait sur le recyclage, rendu possible par des produits conçus pour être facilement démontés.
On accorde aussi une attention particulière au développement d’une « culture de la consommation alternative ». Dans une économie circulaire, nous ne posséderions plus nos propres produits mais nous les louerions. Par exemple, un consommateur ne paierait pas pour une lampe mais pour la lumière et une entreprise serait le propriétaire de la lampe et paierait la facture d’électricité. Un produit deviendrait ainsi un service, ce qui – espérons-le - encouragerait les entreprises à améliorer la durée de vie et la recyclabilité de leurs produits.
L’économie circulaire est présentée comme une alternative à l’« économie linéaire » – un terme qui a été inventé par les partisans de l’économie circulaire et qui fait référence au fait que les sociétés industrielles actuelles transforment de précieuses ressources en déchets. Cependant, même s’il ne fait aucun doute que l’actuel modèle industriel est insoutenable, la question est de savoir si l’économie circulaire serait vraiment différente et plus durable.
De nombreuses références scientifiques (cf. les références plus bas) décrivent ce concept comme « une vision idéaliste », « un mélange d’idées variées provenant de domaines différents » ou « une idée vague fondée sur des concepts psuedo-scientifiques ». Ces trois points sont les trois principaux points de critique de l’économie circulaire, comme nous allons le voir par la suite.
Trop complexe pour être recyclé
La première attaque contre la crédibilité de l’économie circulaire est que le recyclage des produits modernes est loin d’être 100 % efficace. Une économie circulaire n’a rien de nouveau. Au Moyen-Age, les vieux vêtements étaient transformés en papier, les déchets alimentaires étaient donnés aux poules ou aux cochons et les nouveaux bâtiments étaient construits à partir des restes d’anciens bâtiments. La différence entre le passé et le présent réside dans le type de ressources utilisées.
Avant l’ère industrielle, presque tout était fabriqué à partir de matériaux (organiques) qui étaient soit biodégradables, comme le bois, le roseau ou le chanvre, soit faciles à recycler ou à réutiliser, comme le fer ou la brique. Aujourd’hui, les produits modernes sont composés d’une plus grande diversité de (nouveaux) matériaux, qui sont pour la plupart non biodégradables et difficilement recyclables.
Par exemple, une étude récente sur le Fairphone 2, un smartphone conçu pour être recyclable et pour avoir une durée de vie plus longue, montre que l’usage de matériaux synthétiques, de micropuces et de batteries rend la fermeture du cycle impossible. Seulement 30 % des matériaux utilisés dans le Fairphone 2 sont récupérables. Une étude sur les LED a donné un résultat similaire.
L’usage de matériaux synthétiques, de micropuces et de batteries rend la fermeture du cercle impossible.
Plus un produit est complexe, plus le nombre d’étapes pour le recycler augmente. À chaque étape de ce processus, des ressources et de l’énergie sont perdues. De plus, dans le cas de l’électronique, le processus de production en lui-même utilise bien plus de ressources que simplement l’extraction de matières premières, ce qui signifie que le recyclage du produit final ne permet de récupérer qu’une fraction des ressources utilisées. Même si certains plastiques sont effectivement recyclés, cela ne produit que des matériaux de qualité inférieure (« sous-cyclage ») qui rejoindront rapidement les autres déchets.
La faible efficacité du processus de recyclage est à elle seule suffisante pour éroder la base du concept de l’économie circulaire : la perte de ressources lors du recyclage a toujours besoin d’être compensée par encore plus d’extraction à outrance des ressources de notre planète. Les processus de recyclage vont s’améliorer, mais le recyclage sera toujours un compromis entre récupérer un maximum de matériaux et utiliser le moins d’énergie possible. Cela nous amène au point suivant.
Comment recycler des sources d’énergie ?
La deuxième attaque contre la crédibilité de l’économie circulaire est le fait que 20 % du total des ressources utilisées dans le monde sont des hydrocarbures fossiles. Plus de 98 % de ces ressources sont brûlées comme source d’énergie et ne peuvent pas être réutilisées ou recyclées. Au mieux, l’excès de chaleur produit par la génération d’électricité par exemple peut être utilisé pour remplacer d’autres sources de chaleur.
Quand l’énergie est transformée, sa qualité diminue selon la deuxième loi de la thermodynamique. Par exemple, il est impossible de faire fonctionner une voiture ou une centrale énergétique avec l’excès de chaleur produite par une autre. En conséquence, il y aura toujours besoin d’extraire de nouvelles ressources fossiles. D’autre part, recycler des matériaux nécessite aussi de l’énergie, à la fois à travers le processus de recyclage mais aussi à travers le transport des matériaux recyclés ou à recycler.
Les partisans de l’économie circulaire répondent à cette critique en assurant que nous allons évoluer vers 100 % d’énergie renouvelable. Mais cela ne permet pas de refermer le cycle : pour construire et entretenir des centrales énergétiques renouvelables et les structures qui les accompagnent, nous avons aussi besoin de ressources, à la fois énergétiques et matérielles. De plus, les technologies (éoliennes, panneaux solaires, etc.) pour récupérer et stocker les énergies renouvelables (vent, soleil, etc.) reposent sur des matériaux difficiles à recycler. C’est pourquoi les panneaux solaires, les éoliennes et les batteries à lithium ne sont spas recyclés mais plutôt envoyés à la décharge (enfouis) ou incénérés.
Une quantité d’intrants supérieure à la production
La troisième attaque contre la crédibilité de l’économie circulaire est la plus importante : l’usage global des ressources, à la fois les énergies et les matériaux, continue d’augmenter d’année en année. L’utilisation des ressources a augmenté de 1400 % pendant le siècle dernier : de 7 gigatonnes (Gt) en 1900 à 62 Gt en 2005 et 78 Gt en 2010. Cela représente une croissance moyenne de 3 % par an, soit plus du double du taux de croissance de la population.
La croissance rend l’économie circulaire impossible, même si toutes les matières premières étaient recyclées et si le recyclage était efficace à 100 %. La quantité de matériaux usés qui peuvent être recyclés sera toujours inférieure à la quantité de matériaux nécessaire à la croissance. Pour compenser cet écart, il sera toujours nécessaire d’extraire de nouvelles ressources.
La croissance rend l’économie circulaire impossible, même si toutes les matières premières étaient recyclées et si le recyclage était efficace à 100 %.
La différence entre l’offre et la demande est plus grande que ce que l’on croit. Si nous regardons le cycle de vie complet des ressources, il devient clair que les partisans de l’économie circulaire ne se concentrent que sur une toute petite partie du système, et comprennent mal son fonctionnement global.
L’accumulation de ressources
Une partie considérable des ressources – environ un tiers du total – n’est ni recyclée, ni incinérée ni mise en décharge : elle s’accumule dans les bâtiments, les infrastructures et les biens de consommation. En 2005, 62 Gt de ressources étaient utilisées mondialement. Après avoir retiré les sources d’énergie (énergies fossiles et biomasse) et les déchets du secteur minier, les 30 Gt restantes ont été utilisées pour fabriquer des biens matériels. Sur ces 30 Gt, 4 Gt ont été utilisées pour fabriquer des produits à la durée de vie inférieure à un an (produits jetables).
Les autres 26 Gt ont été accumulées dans des bâtiments, infrastructures et biens qui dureront plus d’un an. La même année, 9 Gt de ces ressources accumulées auparavant étaient éliminées, ce qui veut dire que les « stocks » de capital matériel ont augmenté de 17 Gt en 2005. En comparaison, les déchets pouvant être recyclés ne représentent que 13 Gt en 2005 (4 Gt de produits jetables et 9 Gt de ressources accumulées), sur lesquels seulement un tiers (4 Gt) a été effectivement recyclé.
Un tiers des ressources n’est ni recyclée, ni incinérée ni mise en décharge : elle s’accumule dans les bâtiments, les infrastructures et les biens de consommation.
Seules 9 Gt sont donc mises en décharge, incinérées ou enfouies – et c’est sur ces 9 Gt que l’économie circulaire se concentre. Mais même si tout était recyclé, et si le recyclage était efficace à 100 %, le cycle ne serait toujours pas fermé : 63 Gt de matières premières et 30 Gt de produits matériels seraient toujours nécessaires.
Tant que nous continuerons à accumuler des matières premières, la fermeture du cycle de l’économie restera une illusion, même pour les matériaux qui sont, en principe, recyclables. Par exemple, les métaux recyclés ne peuvent fournir que 36 % de la demande annuelle en nouveaux métaux, même si le métal a une bonne capacité de recyclage (d’environ 70 %). Dans le système actuel, nous utilisons toujours plus de matières premières qu’il est possible d’en produire à travers le recyclage et il n’y a donc simplement pas assez de matériaux recyclés pour arrêter l’extraction continue et grandissante de matières premières.
Le véritable visage de l’économie circulaire
Un usage plus responsable des ressources est bien sûr une excellente idée. Mais pour y parvenir, recycler et réutiliser ne suffit pas. Comme 71 % des ressources ne peuvent ni être recyclées ni être réutilisées (44 % étant des sources d’énergie et 27 % sont ajoutées au stock existant), la seule manière d’obtenir de meilleurs chiffres est de réduire la consommation.
Une économie circulaire demanderait ainsi que nous utilisions moins d’énergies fossiles (ce qui est différent d’utiliser plus d’énergies renouvelables) et que nous accumulions moins de matières premières. Le plus important est donc de produire moins : moins de voitures, moins de micro-puces, moins de bâtiments. Cela aurait un double avantage: nous aurions besoin de moins de ressources, tandis que la quantité de matériaux disponibles pour être réutilisés ou recyclés continuerait encore de croître pour de nombreuses années.
Il semble improbable que les partisans de l’économie circulaire acceptent ces conditions supplémentaires. Le concept de l’économie circulaire vise à faire coexister durabilité et croissance – en d’autres termes, plus de voitures, plus de micro-puces, plus de bâtiments. L’Union Européenne a par exemple déclaré que l’économie circulaire « favorisera une croissance économique durable ».
Pour atteindre ne serait-ce que le recyclage total d’une partie des ressources, l’économie circulaire devrait remplir une condition supplémentaire que ses partisans n’accepteront sans doute pas : que tout soit à nouveau produit à partir de bois et de métaux simples, et sans utiliser de matériaux synthétiques, de semi-conducteurs, de batteries au lithium ou de matériaux composites.
Références:
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