Vous voulez vivre dans une maison écologique et économique, offrant le même confort qu’une habitation moderne, sans avoir besoin de vous raccorder aux réseaux de distribution d’électricité, de gaz ou d’eau ? C’est possible ! Cependant, dans la plupart des pays, une telle construction est interdite.
Une géonef (ou « Earthship » selon son principal nom commercial) est une maison autonome, dont la température se régule naturellement, sans système de chauffage. Ce bâtiment produit aussi son électricité, collecte et filtre son eau potable et nettoie ses eaux usées. Il est semi-enterré et construit majoritairement avec des déchets, tels que des pneus, des canettes et des bouteilles en verre. Cette méthode de construction low-tech est avantageuse d’un point de vue écologique et économique.
Cet automne, la ville côtière de Brighton a approuvé la construction de 16 géonefs. C’est la première fois que le conseil municipal d’une ville européenne autorise la construction à grande échelle de ces logements radicalement écologiques. Aux États-Unis c’est presque un millier de géonefs qui ont été construites, pour la plupart dans le désert du Nouveau-Mexique.
L’énergie consommée par les personnes vivant dans une maison traditionnelle n’est pas la seule cause des dommages écologiques de cette dernière. Il faut aussi prendre en compte l’impact des matériaux utilisés lors de la construction de la maison.
C’est l’architecte américain Michael Reynolds qui est à l’origine du concept de géonef (qu’il a nommé « Earthship », littéralement « vaisseau de terre »). Il le concrétisera dans les années 70, lors du premier choc pétrolier. Cependant, en raison de l’effondrement du coût de l’énergie dans les années 80 et 90, seuls certains individus et communautés de la mouvance anarchique s’intéresseront à la géonef . Cependant, cette architecture révolutionnaire a récemment commencé à gagner en crédibilité dans d’autres communautés. Le prix du pétrole ne cesse d’augmenter et une inquiétude concernant le réchauffement climatique s’installe. De plus, grâce à une trentaine d’années d’évolution, une grande partie des problèmes initiaux, auxquels les géonefs ont fait face ont pu être résolus.
La nature autonome d’une géonef n’est pas aussi révolutionnaire qu’il y a 30 ans. La technologie nécessaire pour générer de l’énergie, filtrer et recycler l’eau en dehors des infrastructures existantes a grandement évolué. Ce qui fait l’intérêt et la spécificité d’une géonef aujourd’hui , c’est qu’elle est principalement construite avec des déchets, et semi- enterrée.
Murs épais
La maison a des murs très épais, d’un diamètre d’environ un mètre. Les murs ne sont pas faits de béton ou de brique, mais de pneus empilés et recouverts d’argile. Chaque pneu est rempli de terre puis compacté à coups de masse. Selon le climat, un mur de soutènement peut être érigé en appoint de deux à trois murs de la construction. Il est aussi possible d’intégrer certains murs à une pente. L’adjonction d’un solarium au côté sud du bâtiment (ou au côté nord dans l’hémisphère sud) permet à la maison de se chauffer et se refroidir naturellement.
La chaleur du soleil qui pénètre dans la maison par les grandes fenêtres est absorbée par les murs épais. Les murs ont une inertie thermique importante grâce aux pneus et à la terre, l’isolation est très efficace. Au cours de la nuit et par temps couvert, la chaleur est libérée progressivement. Le même système refroidit la maison pendant l’été, puisque le sol qui l’entoure et les pneus sont plus frais que l’air. Grâce à cette climatisation naturelle, la température intérieure varie entre 17 et 24 °C toute l’année.
« Peu importe à quel point l’idée est pertinente, construire des maisons avec des pneus et des cannettes en aluminium semble ridicule pour la plupart des politiciens »
Les pneus usagés sont les fondations de la géonef. Ils sont la clé du système de climatisation naturel et ils assurent la solidité des murs porteurs. Les murs non porteurs, eux, sont construits avec des cannettes d’aluminium ou des bouteilles en verre. Le toit et la véranda sont faits de bois. Même si le bois peut être réutilisé, dans de nombreux cas le bois neuf est préféré. Puisque les pneus sont entièrement recouverts de terre, le caoutchouc n’est pas en contact avec l’oxygène. Les murs sont donc aussi ignifugés. Lors d’un feu de forêt au Nouveau-Mexique, l’intérieur d’une géonef a été complètement détruit, mais les murs sont restés intacts.
Construire des maisons avec des pneus et des cannettes peut paraître original, mais les avantages écologiques sont si importants que le concept mérite d’être sérieusement étudié. On pourrait croire que le principal avantage d’une géonef réside dans le fait que son chauffage ne nécessite pas de carburant fossile et qu’elle peut produire sa propre électricité (et donc, qu’elle n’émet pas de CO2). Cependant, ce n’est pas le cas. L’atout clé de ce type de bâtiment, ce qui optimise son efficacité, ce sont ses matériaux de construction : des déchets.
40 millions de pneus = 40 000 géonefs
Premièrement, d’importantes quantités de déchets peuvent être utilisées. Rien qu’au Royaume-Uni, 40 millions de pneus sont jetés tous les ans. Le projet de Brighton utilise 1000 pneus pour une maison, ce qui signifie que théoriquement, avec la quantité annuelle de pneus jetés du Royaume-Uni, 40 000 géonefs pourraient être construites.
De plus, ici il s’agit de réutilisation et non pas de recyclage, une option beaucoup plus verte que de broyer les pneus pour faire des ralentisseurs par exemple, puisque les déchets ne subissent aucun processus industriel supplémentaire pouvant consommer de l’énergie.
Deuxièmement, et plus important, l’utilisation de déchets permet d’économiser des milliers de tonnes de matériaux de construction, comme du béton, du mortier ou des briques. L’énergie consommée par les personnes vivant dans une maison traditionnelle n’est pas la seule cause des dommages écologiques de cette dernière. Il faut aussi prendre en compte l’impact des matériaux utilisés lors de la construction de la maison.
Des formes plus traditionnelles pourraient contribuer à l’acceptation de ce type de méthode de construction par le grand public
La production de béton est l’un des processus industriels les plus énergivores qui soient. Le secteur est responsable de dix pour cent des émissions globales de CO2, ce qui en fait le troisième plus gros producteur de gaz à effet de serre (juste derrière les transports et la production d’énergie). Donc, la construction de maisons avec des déchets constitue un énorme avantage environnemental, que ces bâtiments soient autonomes ou non.
D’anciens bâtiments sont souvent démolis sous prétexte que les nouvelles constructions qui les remplacent ont une meilleure isolation et consomment donc moins d’énergie. Ce que l’on oublie souvent, c’est que la démolition de l’ancienne maison, ainsi que la construction du nouveau bâtiment, impliquent toutes deux une grande quantité de matériaux et d’énergie (également désignée sous le terme d’énergie grise), ce qui annule complètement tous les avantages d’une meilleure isolation.
Et le coût ?
Attention, ce n’est pas parce qu’on utilise des déchets pour construire une géonef qu’elle sera forcément moins chère qu’une maison traditionnelle. Celles en vente à Brighton seront même un peu plus chères, en raison du travail nécessaire à leur édification (en effet, la taxation du travail est supérieure à celle de l’énergie ou des matériaux). Même si, une fois la maison construite, l’investissement supplémentaire est rapidement récupéré puisqu’il n’y a pas de factures de gaz, d’eau ou d’électricité.
Construire une géonef soi-même avec des amis pourrait être très économique, mais cela prend beaucoup de temps. La construction de la plus grande géonef des États-Unis a duré presque dix ans. Si vous en construisez une vous-même, ce qui vous coûtera le plus cher, ce sera l’achat des panneaux solaires et de leurs batteries. La deuxième source de dépense sera l’acquisition des grandes fenêtres, des pompes et des filtres. Les déchets pourraient être obtenus gratuitement, puisque les gens doivent généralement payer pour s’en débarrasser.
Des idées originales et révolutionnaires doivent être adoptées si nous voulons empêcher l’éclatement d’un conflit mondial pour l’accès à différentes sources d’énergie.
Aujourd’hui il n’existe qu’une poignée de géonefs en Europe, dont la moitié ont été construites illégalement. Cependant, le concept est bien établi. Plusieurs organisations nationales font même la promotion de cette idée. Le problème majeur est l’obtention d’un permis de construire. Peu importe à quel point l’idée est pertinente, construire des maisons avec des pneus et des cannettes en aluminium semble ridicule pour la plupart des politiciens.
La plupart des géonefs aux États-Unis prennent une forme originale. Elles prennent des airs de conte de fées rappelant le travail d’architectes comme [Gaudí] (http://www.bcn.es/gaudi2002/english/index.htm) et Hundertwasser. Mais d’autres, comme les 16 géonefs en construction à Brighton (voir photo ci-dessus), ne sont pas si différentes par rapport à une maison conventionnelle. Ces formes plus traditionnelles pourraient contribuer à faire accepter ce type de méthode de construction par le grand public.
Environnement urbanisé
Jusqu’à maintenant, la plupart des géonefs étaient construites dans des lieux isolés, alors que la majorité des gens vivent dans des environnements urbanisés. Le problème avec la faisabilité d’une géonef est la taille du terrain sur lequel elle est construite. Le terrain est significativement plus grand que la taille d’une maison conventionnelle.
Mais l’idée est assez flexible pour être adaptée à différentes situations. Lorsqu’une géonef est construite, des buttes de terre sont formées, ce qui peut en retour apporter un soutien pour une autre géonef et ainsi de suite. Le résultat serait révolutionnaire et original. Cependant, en réponse aux récents avertissements de l’Agence internationale de l’énergie, des idées originales et révolutionnaires doivent être adoptées si nous voulons empêcher l’éclatement d’un conflit mondial pour l’accès à différentes sources d’énergie.