Puisque le chauffage des bâtiments représente une part importante de la consommation totale d’énergie en Europe, la Commission européenne a élaboré, en 2002, une directive imposant aux États membres d’améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments (directive 2002/91/CE sur la performance énergétique des bâtiments ou DPEB). Pour cela, deux actions ont été mises en place : l’introduction d’étiquettes énergétiques pour les logements existants, et l’imposition de normes de plus en plus strictes pour les nouvelles constructions et les rénovations de logements.
À partir de 2021, seuls des logements au « bilan énergétique nul » pourront être construits. Dans ces habitations, le peu d’énergie nécessaire pour le chauffage, la ventilation, le système de refroidissement et l’eau chaude proviendra de sources d’énergies renouvelables. La directive encourage un éventail de solutions technologiques telles que l’isolation thermique (des murs, des sols et des toits), le double, triple ou quadruple vitrage, des chaudières ou des pompes à chaleur efficaces ainsi que des systèmes de ventilation mécanique.
Par exemple, aux Pays-Bas, la classification des logements existants a été établie par le décret et la règle de la « Performance énergétique des bâtiments » (du néerlandais « Energieprestatie Gebouwen », BEG & REG). Les logements sont répartis de la classe A (performant) à la classe G (énergivore). Ce système de classification est inspiré de l’étiquetage énergétique de l’électroménager. La mesure de l’efficacité énergétique des nouveaux logements et des rénovations est régulée par le « Coefficient de performance énergétique »(du néerlandais « Energie Prestatie Coëfficien », EPC). D’ici 2021, les logements seront « quasi neutres en énergie ».
Pour simplifier la compréhension, nous regrouperons ces trois acronymes sous le nom « étiquettes énergétiques » dans le reste de l’article. Que ce soit au sein de l’UE ou non, toutes les réglementations et décisions à propos de l’efficacité énergétique des logements se résument à encourager ou rendre obligatoire l’isolation thermique et l’installation de systèmes de chauffage efficaces.
Consommation énergétique théorique contre consommation énergétique réelle
Une étiquette énergétique indique l’efficacité énergétique d’un logement existant ou futur. L’évaluation d’un logement ou d’un plan de construction est réalisée par un expert en énergie qui estime une consommation énergétique théorique. Les situations suivantes se basent donc sur cette estimation : le calcul de potentielles économies d’énergie après des rénovations thermiques ou d’une nouvelle construction à faible consommation énergétique, ainsi que l’estimation de la période de retour sur investissement.
Toutefois, des recherches menées dans plusieurs pays européens ont démontré que la consommation énergétique réelle diffère considérablement de la consommation énergétique théorique. Bien que les méthodes de calculs utilisées soient différentes, les résultats des études sont étonnamment similaires.
Allemagne
Une étude menée sur 3400 logements allemands (représentatifs de l’ensemble du parc immobilier) a conclu que la consommation moyenne de ces logements était 30 % inférieure à la consommation estimée : 150 kWh/m²/an au lieu des 225 kWh/m²/an estimés.1 De plus, moins le logement est économe, plus la différence entre la consommation énergétique estimée et réelle s’accentue. Pour les logements dont la consommation était estimée entre 150 et 300 kWh/m²/an, la consommation énergétique réelle était respectivement inférieure de 17 et de 40 %.
Quant aux logements les moins économes (> 500 kWh/m²/an), leur consommation réelle est en moyenne 60 % inférieure à la consommation théorique. Cependant, la consommation réelle des logements étiquetés classe A (75 kWh/m²/an) est en moyenne 30 % supérieure à la consommation estimée. Dans l’ensemble, on constate une légère différence dans la consommation moyenne énergétique mesurée entre les logements allemands ayant des étiquettes énergétiques très différentes. Cette consommation oscille entre 100 et 200 kWh/m²/an.
Il existe tout de même des différences importantes (jusqu’à 60 %) concernant la consommation réelle entre les logements individuels possédant la même étiquette énergétique. Cette étude se base sur une comparaison par mètre carré au sol afin que cette différence ne soit pas liée à la superficie du logement.1
Pays-Bas & Belgique
Plusieurs études néerlandaises sont arrivées aux mêmes conclusions. Une étude menée sur 4700 logements (représentatifs de l’ensemble du parc immobilier) a révélé que la consommation de ces logements était en moyenne 30 % inférieure à la consommation énergétique estimée. Pour chaque logement individuel, la consommation réelle pouvait être 75 % supérieure ou inférieure. 2 Des études néerlandaises plus récentes menées sur une base de données plus importante ont donné presque les mêmes résultats que l’étude allemande. En effet, les logements néerlandais les plus énergivores consommaient 50 % de moins que prévu, alors que les logements les plus économes consommaient 25 % de plus que prévu.3
Pour finir, une étude menée sur 964 logements belges a également obtenu des résultats similaires. La méthode de calcul utilisée était différente puisque les chercheurs ont comparé les efficacités énergétiques en se fondant sur la qualité de l’isolation du bien. Dans les logements les moins bien isolés (avec un coefficient de transmission thermique de 1,6 W/m²K), la consommation énergétique réelle est 45 % inférieure à la consommation estimée, alors que la consommation réelle des logements plutôt bien isolés (0,6 W/m²K) est inférieure de 25 % par rapport à celle estimée. Encore une fois, les logements les mieux isolés (0,15 W/m²K) ont une consommation énergétique réelle 15 % supérieure à la consommation estimée.4
Erreurs de calcul
Tous ces résultats ne sont pas nécessairement comparables, car l’eau chaude n’est pas tout le temps prise en compte dans ces études. Néanmoins, la conclusion est claire : la consommation énergétique théorique ou estimée d’un logement diffère considérablement de la consommation énergétique réelle. Quelle est la raison ?
La première explication concerne la mauvaise estimation de l’efficacité énergétique des logements. Le logiciel utilisé pour calculer la consommation énergétique d’un logement peut s’avérer imprécis ou être mal utilisé.5 De plus, l’efficacité thermique des nouvelles technologies ou des nouveaux matériaux n’est pas toujours prouvée, et les méthodes de construction (anciennes ou nouvelles) ne font pas toujours l’unanimité.
Certains critères sont discutables. Par exemple, les estimations d’isolation thermique d’immeubles anciens sont souvent basées sur l’année de construction. Toutefois, il s’agit seulement d’une supposition. De plus, des recherches récentes affirment que la valeur d’isolation d’un mur plein a été sous-estimée depuis des années. Les auteurs concluent que, d’après leurs résultats, des millions d’immeubles anciens auraient dû recevoir une meilleure étiquette énergétique.6
Demande de chaleur
La deuxième explication de cette grande différence entre la consommation énergétique estimée et réelle concerne le comportement des occupants du logement. La consommation énergétique du chauffage ne dépend pas seulement de l’efficacité énergétique, mais également de la demande de chaleur.
Quant à la demande de chaleur, elle est déterminée par divers facteurs : le nombre d’heures chauffées par an, la température intérieure souhaitée, le nombre de pièces chauffées, l’intérieur de l’immeuble (revêtement des sols, rideaux), la chaleur produite par l’électroménager, les vêtements portés, l’activité physique, l’utilisation d’autres sources de chaleur telles que des bouilloires et des plaids, et les conditions météorologiques.7
À l’exception des conditions météorologiques, tous ces facteurs sont commodément ignorés ou standardisés lors du calcul de la consommation énergétique théorique et de l’attribution des étiquettes énergétiques. Cela pose un problème puisque les résultats des recherches établissent un lien étroit entre l’efficacité du logement et la demande de chaleur. En effet, plus le logement est énergivore, plus la différence entre la consommation énergétique estimée et réelle est importante.
Température de la pièce
Certaines hypothèses actuelles surestiment grandement la demande de chaleur. Par exemple, les modèles mathématiques supposent que la totalité du logement a une température de 18 °C (65 °F). Cependant, des recherches indiquent que de nombreuses chambres ne sont pas ou rarement chauffées, et que la température moyenne dans ces pièces est, en réalité, bien plus basse.4 Les logements anciens qui ne possèdent qu’une source de chauffage dans la pièce de vie (comme c’était le cas auparavant) sont incapables de chauffer l’entièreté du logement pour atteindre les 18 °C.3
Par conséquent, on peut en déduire que plus le logement est énergivore, plus la température intérieure sera basse. Dans les logements néerlandais avec « l’étiquette énergétique G », la différence entre la consommation énergétique estimée et réelle correspond à une diminution de la température intérieure de 18 à 12,4 °C (65 à 55 °F) dans la totalité du logement.
Par ailleurs, il est probable que la température intérieure soit supérieure à 18 °C dans un logement économe équipé d’un chauffage central. Dans les logements néerlandais avec « l’étiquette énergétique A », la différence entre la consommation énergétique estimée et réelle correspond à une hausse de la température intérieure de 18 à 20,7 °C (65 à 70 °F) dans la totalité du logement.3
Qui plus est, ces résultats ne signifient pas que la plupart de ces occupants sont dans l’incapacité de payer leur facture d’énergie. L’entièreté du parc immobilier est représentée par les logements du panel. Les études prennent en compte les foyers aisés qui consomment moins d’énergie que ce qu’indique leur étiquette énergétique.
Surestimation des économies d’énergie
D’après la réglementation, l’objectif des étiquettes énergétiques n’est pas de mesurer la consommation énergétique réelle, mais de servir d’outil de comparaison. Si l’on garde cela en mémoire, ces étiquettes énergétiques peuvent en effet être utiles. Toutefois, cette réglementation se fie à la consommation énergétique estimée afin de calculer les économies potentielles, ainsi que la période de retour sur investissement des rénovations thermiques et des nouvelles constructions. Cette confiance envers la consommation estimée pose un problème, car des chiffres discutables ressortent de ces calculs.
Par exemple, supposons qu’un logement, dont la consommation est estimée à 500 kWh/m²/an, consomme, en réalité, seulement 225 kWh/m²/an, d’après les résultats d’études. Entreprendre des rénovations importantes rendrait donc ce logement moins énergivore avec une consommation estimée à 250 kWh/m²/an. Selon la réglementation, on observe une économie de 250 kWh/m²/an sur la consommation estimée, mais en pratique, cette consommation reste tout de même plus élevée que la consommation réelle (250 contre 225 kWh/m²/an). Si la consommation énergétique après rénovation est également inférieure aux prévisions (environ 165 au lieu des 250 kWh/m²/an, d’après les résultats d’études), même dans cette situation, les économies sont nettement inférieures à ce que les chiffres laissent supposer (65 au lieu de 250 kWh/m²/an).
En s’intéressant à la totalité du parc immobilier de ces études, la consommation énergétique réelle est 30 % inférieure à celle estimée. Nous pouvons donc en conclure que les économies après des rénovations thermiques et de nouvelles constructions économes sont surestimées d’environ 30 %. Néanmoins, la situation est encore pire que cela. Pourquoi ? Nous devons également prendre en compte le coût énergétique nécessaire pour mener à bien des rénovations thermiques et de nouvelles constructions. En effet, la production, le transport et l’installation d’isolation thermique, de chauffage efficace et de triple vitrage demandent de l’énergie. Cette consommation énergétique investie devrait donc être soustraite aux économies d’énergie.
Dans les situations où la consommation réelle est bien inférieure à celle estimée, comme c’est le cas des logements énergivores, l’efficacité énergétique devient alors négative. En effet, les mesures soi-disant efficaces coûtent, en réalité, plus d’énergie qu’elles n’en économisent pendant la durée de vie de la technologie. Au cours des rénovations ou des nouvelles constructions, les résidents économes peuvent donc se voir forcer d’adopter des mesures non durables.
Sous-estimation des retours sur investissement
Les étiquettes énergétiques imposent des coûts supplémentaires aux propriétaires, que ce soit lors d’une rénovation ou d’une nouvelle construction. La directive européenne stipule donc que les investissements doivent être amortis dans un délai raisonnable grâce à des factures d’énergies moins élevées. En résumé, les étiquettes énergétiques promettent une situation gagnant-gagnant : les propriétaires économisent de l’argent (sur le long terme) et la consommation énergétique diminue. De plus, les propriétaires n’ont pas vraiment d’autres choix, car le non-respect de la législation est passible d’amendes.
Malheureusement, la période de retour sur investissement est également fondée sur la consommation énergétique estimée. Plus la demande initiale de chaleur est élevée, plus les économies d’énergie sont importantes et plus la période de retour sur investissement d’une technologie écoénergétique est courte. Et inversement, si la demande de chaleur est inférieure aux estimations, la période de retour sur investissement s’étend. Les foyers économes en énergie sont donc contraints à réaliser des investissements non rentables.
L’étude néerlandaise menée sur 4700 logements montre qu’aucune mesure d’efficacité énergétique n’est économiquement viable pour la totalité des foyers. Les meilleurs résultats sont obtenus pour la post-isolation des cavités d’air, les radiateurs écoénergétiques et les fenêtres isolées, car les investissements sont rentables pour 61 à 69 % des foyers néerlandais sondés. Toutes les autres mesures (ventilation mécanique, chauffe-eau solaire, isolation des murs extérieurs, du toit et du sol) sont rentables pour moins de 30 % des logements néerlandais.2
Une conclusion similaire s’applique aux nouveaux immeubles écoénergétiques. Puisque dans ce cas-ci la consommation énergétique réelle est généralement supérieure à celle estimée, les investissements supplémentaires réalisés dans les nouvelles constructions écoénergétiques ne permettent pas d’atteindre les économies prévues. De plus, la période de retour sur investissement économique et énergétique est prolongée.
Comment mesurer ?
En bref, les normes thermiques élevées et les étiquettes énergétiques fondées sur des calculs théoriques font autant de bien que de mal. Les économies d’énergie sont bien moins importantes que prévu, et une grande partie des foyers sont contraints de faire des investissements non rentables et non durables. En outre, la réglementation ne se préoccupe pas de la demande de chaleur.
La solution serait peut-être de se fier à la consommation énergétique réelle afin d’instaurer des politiques adéquates. On peut procéder de deux façons. Premièrement, les résultats de ces études pourraient être pris en compte. Par exemple, si la consommation réelle des logements est en moyenne 60 % inférieure aux estimations (500 kWh/m²/an), les économies d’énergie potentielles pourraient être calculées sur cette base (soit 215 kWh/m²/an). Un ajustement similaire est maintenant effectué en fonction des conditions météorologiques.
Deuxièmement, cette réglementation pourrait également être évaluée au cas par cas, car les informations nécessaires sont à disposition grâce à la facture d’énergie du foyer en question. La nécessité d’entreprendre des rénovations thermiques dans un logement pourrait être décidée simplement en consultant les factures d’énergie des dernières années. Toutefois, une telle réglementation serait difficile à mettre en place dans les nouvelles constructions ou lors d’un changement dans le foyer.
Quelle que soit la situation, la réglementation qui prend en compte la consommation énergétique réelle fait d’une pierre deux coups. Tout d’abord, les économies d’énergie et la rentabilité des rénovations thermiques et des nouvelles constructions augmenteraient, car on ne se préoccuperait plus des logements où cela est inutile. Ensuite, de cette manière, les foyers seraient également incités à consommer moins d’énergie, ce qui n’est pas du tout le cas aujourd’hui.