En tant que journaliste indépendant – ou employé de bureau si vous préférez – j’ai toujours pensé que j’avais besoin d’un ordinateur décent et que la qualité se payait. Entre 2000 et 2017, j’ai eu trois ordinateurs portables que j’ai achetés neufs, et qui m’ont coûté environ 5 000 euros au total – soit environ 300 euros par an sur toute la période. La durée de vie utile de mes trois ordinateurs atteint 5,7 ans en moyenne.
En 2017, alors que je mettais mon lieu de travail et mon site Web hors du réseau électrique, j’ai décidé de ne plus acheter de nouveaux ordinateurs portables. À la place, je me suis acheté en ligne une machine d’occasion de 2006 pour 50 euros, qui remplit toutes mes attentes et fait tout ce dont j’ai besoin. Avec une nouvelle batterie et une simple mise à niveau matérielle, mon investissement restait sous les 150 euros. Si cet ordinateur de 2006 dure aussi longtemps que mes autres machines – s’il tourne encore 1,7 an – il ne m’aura coûté que 26 euros par an. C’est plus de 10 fois moins que mes ordinateurs précédents. Dans cet article, j’explique mes motivations pour ne pas acheter de nouveaux ordinateurs portables et comment vous pourriez faire de même.
Consommation énergétique et matérielle d’un ordinateur portable
Ne pas acheter de nouveaux ordinateurs portables permet de sauver beaucoup d’argent mais aussi beaucoup de ressources et d’éviter des destructions environnementales. Selon l’analyse du cycle de vie la plus récente, il faut 3 010 à 4 340 mégajoules d’énergie primaire pour fabriquer un ordinateur portable, comprenant l’extraction des matériaux, la fabrication de la machine et sa mise sur le marché. 1
Chaque année, nous achetons entre 160 et 200 millions d’ordinateurs portables. En utilisant les données ci-dessus, cela signifie que la production d’ordinateurs portables nécessite une consommation d’énergie annuelle de 480 à 868 pétajoules, ce qui représente entre un quart et la moitié de toute l’énergie solaire photovoltaïque produite dans le monde en 2018 (2 023 pétajoules). 2 La fabrication d’un ordinateur portable implique également une forte consommation de matière, qui comprend une grande variété de minéraux pouvant être considérés comme rares à cause de différentes contraintes : économiques, sociales, géochimiques et géopolitiques. 34
La production de puces électroniques consomme énormément d’énergie et de matériaux, mais ce n’est pas le seul problème. La forte consommation de ressources des ordinateurs portables est également due au fait que leur durée de vie est très courte. Parmi les 160 à 200 millions d’ordinateurs portables vendus chaque année, la plupart sont des achats de remplacement. L’ordinateur portable moyen est remplacé tous les 3 ans en entreprise, et tous les 5 ans ailleurs. 3 Ma moyenne de 5,7 ans par ordinateur portable n’est donc pas exceptionnelle.
Les ordinateurs portables ne changent pas
L’étude citée date de 2011 et fait référence à une machine fabriquée en 2001 : un Dell Inspiron 2500. Vous pouvez tout-à-fait considérer cette « état de l’art du cycle de vie d’un ordinateur portable » comme obsolète, mais il n’en est rien. Un document de recherche de 2015 a découvert que l’énergie grise des ordinateurs portables est en fait statique au fil du temps. 5
Les scientifiques ont démonté 11 ordinateurs portables de tailles similaires, fabriqués entre 1999 et 2008, puis ils ont pesé les différents composants. En outre, ils ont mesuré les dimensions de la puce en silicium de toutes les cartes mère, et de 30 cartes DRAM produites à peu près sur la même période (jusqu’en 2011). Ils ont alors constaté que la masse et la composition matérielle de tous les composants clés - batterie, carte mère, disque dur, mémoire - n’avaient pas changé de manière significative, même si les processus de fabrication sont devenus plus efficaces en termes d’utilisation d’énergie et de matériaux.
Ceci s’explique simplement : des fonctionnalités accrues compensent les gains d’efficacité du processus de fabrication. La masse de la batterie, la mémoire et la masse du disque dur ont diminué par unité de fonctionnalité, mais leur total est resté à peu près constant chaque année. La même dynamique explique pourquoi la consommation d’énergie en fonctionnement des ordinateurs portables les plus récents n’a pas diminuée. Les nouveaux ordinateurs portables sont peut-être moins énergivores par puissance de calcul unitaire, mais ces gains sont compensés par une puissance de calcul totale plus élevée. C’est en informatique que le paradoxe de Jevons est le plus évident.
Le défi
Tout cela signifie qu’il n’y a aucun avantage environnemental ou financier à remplacer un vieil ordinateur portable par un nouveau. À l’inverse, la seule chose qu’un consommateur puisse faire pour améliorer la durabilité écologique et économique de son ordinateur portable est de l’utiliser le plus longtemps possible. La maturité technologique et la puissance de calcul plus que suffisante que possèdent désormais les ordinateurs portables facilitent cette perspective. Un problème demeure, cependant. Les consommateurs qui essaient de continuer à travailler sur leurs anciennes machines s’exposent à de la frustration. J’explique brièvement mes frustrations ci-dessous et je suis plutôt sûr qu’elles sont assez répandues.
Mon premier ordinateur portable : Apple iBook (2000-2005)
En 2000, alors que je travaillais en Belgique comme journaliste scientifique et technique en indépendant, j’ai acheté mon premier ordinateur portable, un Apple iBook. Un peu plus de deux ou trois ans plus tard, le chargeur a commencé à dysfonctionner. Le prix d’un chargeur neuf m’a tellement dégoûté des pratiques de vente d’Apple - les chargeurs sont très bon marché à produire, mais Apple les vend très cher - que j’ai refusé de l’acheter. Au lieu de cela, j’ai réussi à faire fonctionner mon chargeur encore quelques années, d’abord en le mettant sous le poids de livres et de meubles, et quand cela ne fonctionnait plus, en le serrant fermement avec une pince.
Mon deuxième ordinateur portable : IBM ThinkPad R52 (2005-2013)
Lorsque le chargeur a bel et bien décédé en 2005, j’ai décidé de me renseigner sur l’achat d’un nouvel ordinateur portable. Je n’avais qu’une demande : il devait avoir un chargeur qui dure, ou qui soit au moins remplacable pour pas cher. J’ai trouvé mieux que ce que j’espérais. J’ai acheté un IBM Thinkpad R52 et ça a été le coup de foudre dès la première utilisation. Mon ordinateur portable IBM était l’inverse du MacBook d’Apple et pas seulement en matière de design (une boîte rectangulaire dispo dans toutes les couleurs tant que c’est du noir). Plus important encore, l’appareil entier a été conçu pour durer, pour être fiable et pour être réparable.
Les produits modulables et à cycle de vie circulaire sont à la mode ces jours-ci, mais mon IBM Thinkpad était précisément cela. Chaque composant de l’ordinateur portable pouvait être dévissé et remplacé, le boîtier robuste (avec des charnières en acier) était suffisamment grand pour permettre de sérieuses mises à niveau et possédait tous les connecteurs imaginables. Ma machine de 2005 fonctionne encore aujourd’hui et je suis convaincu qu’elle pourrait continuer encore 500 ans en étant bien entretenue. Comme une éolienne pré-industrielle, sa durée de vie pourrait être prolongée à l’infini en réparant et remplaçant progressivement chaque pièce qui la compose. La question n’est pas de savoir comment nous pouvons évoluer vers une économie circulaire, mais plutôt pourquoi nous continuons à nous en éloigner.
La question n’est pas de savoir comment nous pouvons évoluer vers une économie circulaire, mais plutôt pourquoi nous continuons à nous en éloigner.
J’ai payé mon Thinkpad plus cher que mon iBook, mais au moins j’ai dépensé tout cet argent pour un ordinateur décent et pas juste un beau design. Le chargeur ne m’a pas posé de problème et lorsque j’ai dû en acheter un nouveau après l’avoir perdu en voyage, j’ai pu le faire à un prix raisonnable. Je ne me doutais pas que mon heureux achat allait devenir une expérience unique en son genre.
Mon troisième ordinateur portable : Lenovo Thinkpad T430 (2013-2017)
Avance rapide jusqu’en 2013. Je vis maintenant en Espagne et je dirige Lowtech Magazine. Je travaille toujours sur mon IBM Thinkpad R52, mais il y a quelques problèmes à l’horizon. Tout d’abord, Microsoft va bientôt m’obliger à mettre à jour mon système d’exploitation (OS : operating system), car le support de Windows XP doit prendre fin en 2014. Je n’ai pas envie de dépenser plusieurs centaines d’euros pour un nouveau système d’exploitation qui serait de toute façon trop exigeant pour mon vieil ordinateur. De plus, l’ordinateur portable était devenu un peu lent, même après l’avoir été restauré à ses paramètres d’usine. Bref, je suis tombé dans le piège des industries matérielles et logicielles : j’ai considéré à tort avoir besoin d’un nouvel ordinateur portable.
Ayant tant aimé mon Thinkpad, il était logique d’en acheter un nouveau. Voici le problème : en 2005, peu de temps après avoir acheté mon premier Thinkpad, Lenovo, un fabricant d’ordinateurs chinois aujourd’hui le plus grand au monde, a racheté l’activité PC d’IBM. Les entreprises chinoises n’avaient pas la réputation de fabriquer des produits de qualité, surtout à l’époque. Cependant, comme Lenovo vendait toujours des Thinkpad qui semblaient presque identiques à ceux construits par IBM, j’ai décidé de tenter ma chance pour un Lenovo Thinkpad T430 en Avril 2013. Je l’ai pris au prix fort, en supposant que la qualité se payait.
J’ai assez vite constaté mon erreur. J’ai dû renvoyer deux fois l’appareil pour cause de boîtier déformé. Quand j’en ai eu un qui soit enfin à peu près correct, je me suis rapidement heurté à un autre problème : les touches du clavier ont commencé à se casser. Je me souviens encore de mon incrédulité la première fois. L’IBM Thinkpad était connu pour son clavier robuste. Pour le casser, il faut un marteau. Lenovo n’a évidemment pas trouvé cela si important et l’a discrètement remplacé par une version moins chère. Remarquez, il se peut que mon style de frappe soit agressif, mais je n’avais jamais cassé aucun clavier auparavant.
J’ai commandé machinalement une touche de remplacement pour 15 euros. Dans les mois qui ont suivi, le remplacement des touches est devenu une dépense récurrente. Après avoir dépensé plus de 100 euros pour des touches en plastique, qui allaient bientôt casser de nouveau, j’ai calculé que mon clavier avait 90 touches et que les remplacer toutes une fois me coûterait 1 350 euros. J’ai complètement arrêté d’utiliser le clavier, prenant un clavier externe comme solution temporaire. Ce n’était cependant pas pratique, en particulier pour travailler hors de chez soi – et pourquoi utiliser un ordinateur portable dans ce cas ?
Le problème était insoluble : j’avais besoin d’un nouvel ordinateur portable. Encore. Mais lequel ? Bien sûr, ce ne serait pas un produit fabriqué par Lenovo ou Apple.
Mon quatrième ordinateur portable : IBM Thinkpad X60s (2017-maintenant)
Ne trouvant pas ce que je cherchais, j’ai décidé de remonter dans le temps. Je me suis rendu compte que, jusqu’à maintenant, les nouveaux ordinateurs portables sont de qualité inférieure par rapport aux anciens, même à un prix beaucoup plus haut. J’ai découvert que Lenovo avait changé de clavier vers 2011 et j’ai commencé à rechercher sur des sites d’enchères des Thinkpad construits avant cette date. J’aurais pu revenir à mon ThinkPad R52 de 2005, mais je m’étais habitué à un clavier espagnol et le R52 avait un clavier belge.
En avril 2017, j’ai opté pour un Thinkpad X60s d’occasion de 2006. 6 En décembre 2020, la machine fonctionnait depuis près de 4 ans et fêtait ses 14 ans – trois à cinq fois plus vieux que l’ordinateur portable moyen. Même si j’ai aimé mon Thinkpad R52 de 2005, j’ai littéralement adoré mon Thinkpad X60s de 2006. Il est tout aussi robuste – il a déjà survécu à une chute sur du béton depuis une table – tout en étant beaucoup plus petit et léger : 1,43 kg contre 3,2 kg.
Mon Thinkpad X60s 2006 fait tout ce que je veux qu’il fasse. Je l’utilise pour écrire des articles, faire des recherches et maintenir les sites Web. Je l’ai également utilisé sur scène pour donner des conférences, projetant des images sur un grand écran. Il ne manque qu’une chose sur cet appareil, surtout de nos jours : une webcam. Je contourne ce problème en allumant mon ordinateur maudit de 2013 avec ses touches cassées chaque fois que j’en ai besoin, heureux de le rentabiliser pour un usage n’impliquant pas son clavier. Je pourrai aussi passer au Thinkpad X200 de 2008, une version plus récente du même modèle qui dispose d’une webcam.