La brique, la pierre et le béton sont des matériaux résistants en compression (il est possible de les empiler presque indéfiniment) mais faibles en traction. Pour qu’elle ne s’effondre pas et si sa largeur augmente, une structure construite à l’aide de ces matériaux doit être supportée par de nombreuses colonnes.
L’architecture moderne contourne ce problème en utilisant de l’acier pour renforcer le béton, la traction de l’acier étant bien plus forte que celle de la brique, de la pierre ou du béton. C’est ce qu’on appelle le béton armé. Le savoir-faire unique de l’entre-deux-guerres compensait la faible traction de la brique.
Aujourd’hui, aucun architecte n’oserait construire de tels bâtiments sans renforts en acier, pourtant réalisables grâce à des voûtes catalanes. Cette technique était pourtant peu coûteuse, rapide, écologique et durable.
La technique de fabrication de voûtes catalanes a été inventée aux alentours du XIVe siècle dans le bassin méditerranéen même si ses origines précises demeurent inconnues. Les voûtes catalanes sont également appelées « voûte en brique planes », « voûtes sarrasines », « voûte plate » ou « voûte du Roussillon » en fonction du nom qu’elles portent en français, en espagnol, en italien et en catalan.
Un toit de tuiles
La technique pour construire les voûtes catalanes est très différente de la méthode romaine pour édifier des arches, basée sur l’étude de la gravité. Une voûte romaine est constituée d’une rangée de pierres en forme de coin (voussoirs) (voir l’image ci-dessous).
La voûte catalane, quant à elle, est composée de plusieurs couches de tuiles superposées assemblées à l’aide d’un mortier à prise rapide. Une seule couche de tuiles ne suffirait pas pour faire tenir la structure ; en ajoutant deux ou trois couches supplémentaires, elle devient presque aussi solide que du béton armé.
Le résultat semble défier la gravité. En effet, les voûtes catalanes sont très fines en comparaison avec les voûtes romaines. Pourtant, elles peuvent supporter des charges bien plus lourdes. Cette technique permet de réaliser de plus grandes structures et des courbes plus souples.
Comme son nom l’indique, la technique a été perfectionnée en Catalogne, une région au nord-est de l’Espagne. La basilique Sainte-Marie-de-la-Mer et celle de Santa Maria del Pi, toutes deux situées à Barcelone, et la cathédrale Sainte-Marie de Gérone (qui possède la plus grande nef gothique d’Europe) sont des exemples notables d’architecture médiévale comportant des voûtes catalanes.
Les architectes modernistes catalans ont redécouvert cette technique entre le XIXe et le XXe siècle. On peut citer par exemple la crypte de la Colònia Güell, imaginée par Antoni Gaudí à l’aide de simples cordes suspendues et de poids attachés au plafond (ce bâtiment a d’ailleurs souffert d’une restauration désastreuse), le Le Vapor Aymerich, Amat i Jover de Terrassa, une ancienne usine textile construite par Lluís Moncunill i Parellada ou la Cave Coopérative de Pinell de Brai construite par Cèsar Martinell.
Cependant, la plupart des chefs-d’œuvre des voûtes catalanes se trouvent aux États-Unis. Cette technique était inconnue du continent américain jusqu’à ce que la famille Guastavino l’importe. Rafael Guastavino, né à Valence en Espagne en 1842, l’a améliorée et renommée « cohesive construction ».Elle est plus connue sous le nom de « système Guastavino » en français. Il a remplacé les briques par de fines tuiles et le mortier traditionnel par du ciment Portland à prise rapide. Ces changements renforcent la structure pour ainsi construire des voûtes trois à cinq fois plus grandes.
Au début de sa carrière, aux alentours de 1880, Rafael Guastavino a immigré aux États-Unis. C’est là que lui et ses descendants ont collaboré avec des architectes pour ériger plus de mille immeubles et bâtiments durant plus de cinquante ans. Aujourd’hui encore, un grand nombre de leurs constructions sont des monuments célèbres. Il en existe presque quatre cents à New York. Les Guastavino construisaient des sols, des plafonds, des voûtes, des dômes et des escaliers en voûte catalane. Leurs œuvres sont en général méconnues du grand public puisqu’ils étaient entrepreneurs et non architectes.
On peut citer comme exemples des œuvres de la famille Guastavino la Bibliothèque publique de Boston (un projet extrêmement bien documenté en anglais), le plafond du Grand Central Oyster Bar, le Grand Hall d’enregistrement d’Ellis Island, Le Carnegie Hall, le bâtiment de la Cour suprême des États-Unis, le Capitole de l’État du Nebraska, le pont de Queensboro, le United States Army War College de Washington et la cathédrale St John the Divine qui possède le plus grand dôme jamais construit par Guastavino. Rafael Guastavino et son fils (aussi prénommé Rafael) ont obtenu plus de 20 brevets. En 1891, leur entreprise disposait de bureaux à New York, Boston, Providence, Milwaukee et Chicago. En 1900, ils ont ouvert leur propre usine pour fabriquer les tuiles dont ils avaient besoin.
Rapide et économique
La popularité de la voûte catalane n’est pas seulement due à son esthétique. Les structures sont économiques et rapides à construire, et ce pour deux raisons : elles demandent l’utilisation de beaucoup moins de matériaux et d’échafaudages en bois pour leur construction. À l’inverse, une grande quantité de bois est nécessaire pour édifier une voûte romaine ; en effet, elle doit être supportée par un cintre en bois longtemps après la construction.
Les voûtes catalanes, quant à elles, ont seulement besoin d’un système de coffrage déplaçable au début de la construction. Pour poursuivre leur travail, les ouvriers s’installent sur la partie de la voûte catalane qu’ils ont déjà construite (qui mesure de 5 à 10 cm d’épaisseur).
En utilisant si peu de matériaux et d’équipements de construction, la famille Guastavino pouvait proposer des prix défiant toute concurrence.
Durable et résistante au feu
Les bâtiments qui comprennent des voûtes catalanes sont plus résistants au feu ; on peut citer l’exemple de la basilique Sainte-Marie-de-la-Mer à Barcelone qui a brûlé pendant 11 jours pendant la guerre civile espagnole sans qu’elle ne s’effondre ou qu’il n’y ait beaucoup de dégâts. Au XIXe siècle, plusieurs incendies majeurs se sont déclarés, comme le Grand incendie de Chicago en 1871. La famille Guastavino a immédiatement saisi cette opportunité marketing et a renommé son entreprise la « Guastavino Fireproof Construction Company » pour vanter les mérites et les propriétés ignifuges de leurs œuvres.
Les voûtes catalanes comportent bien d’autres avantages. Les sols, les plafonds, les arches et les escaliers sont des isolants phoniques et résistent aux inondations et à l’humidité. Ils empêchent également les nuisibles tels que les rats ou les cafards de s’installer dans le bâtiment.
Convaincre le grand public
Il s’est également avéré que ce type de bâtiment résistait très bien à l’épreuve du temps. Depuis la dernière restauration des bâtiments d’Ellis Island dans les années 1980, seules 17 tuiles sur les 29 000 qui ont été utilisées lors de la construction ont été remplacées. D’ailleurs, on peut toujours admirer le savoir-faire médiéval des voûtes catalanes dans plusieurs églises comme celles mentionnées au début de l’article.
Au départ, la famille Guastavino a eu du mal à convaincre le public que leurs voûtes étaient solides et robustes en dépit de leur finesse et de leur légèreté. Pour convaincre les potentiels acheteurs, elle a réalisé une démonstration publique (voir la photographie sur la droite).
À bien des égards, les voûtes catalanes ont les mêmes propriétés que le béton armé sans utiliser de l’acier. Pourtant, elles étaient réalisées sans l’aide d’ordinateur ou de calculs d’ingénierie. Le savoir-faire repose principalement sur l’intuition et l’expérience des ouvriers.
l’École Nationale d’Art de Cuba
Rafael Guastavino pensait que les voûtes catalanes étaient le futur de l’architecture. Il avait tort. L’entreprise de la famille Guastavino a fermé ses portes en 1962, douze ans après la mort de son fils. L’augmentation des coûts de la main-d’œuvre et l’invention du béton armé ont rendu la technique de fabrication des voûtes catalanes pratiquement obsolète. Pourtant, deux exemples plus récents ont retenu notre attention.
Le premier est en rapport avec l’architecte uruguayen Eladio Dieste qui a utilisé la technique des voûtes catalanes avec des renforcements en acier pour ériger des immeubles modernes. Cette combinaison lui a permis de construire des bâtiments plus larges, comme cette église située à Atlándida, une ville d’Uruguay.
Cependant, l’exemple le plus important reste l’École Nationale d’Art de Cuba. La construction de bâtiment inachevé a débuté en 1961 pour s’arrêter en 1965. Il s’agissait d’un projet ambitieux qui prévoyait un complexe national d’écoles d’art. Cette technique a été utilisée puisqu’il y avait peu de matériaux et beaucoup de main-d’œuvre à disposition. Le savoir-faire avait été transmis par un maçon qui avait travaillé pour Antoni Gaudí.
L’intérêt de cette technique dans le contexte actuel
La quantité de matériaux disponibles est aujourd’hui encore un souci important à Cuba et ce problème s’aggrave dans le monde entier. Peut-être que les voûtes catalanes ressortiront de l’oubli un jour pour pallier ce manque.
Récemment, des recherches ont été menées sur la structure des voûtes catalanes et certaines personnes comme les chercheurs de MIT ont essayé de faire revivre cette technique. Ils ont donc réalisé plusieurs voûtes catalanes DIY (voir la photographie ci-dessous). L’université MIT et la Bibliothèque publique de Boston ont prévu d’organiser une exposition dédiée à la famille Guastavino en 2009.
Merci à Katrien