
L’isolation thermique est un des piliers des politiques publiques visant à réduire les consommations énergétiques liées au chauffage et à la climatisation des bâtiments. 1 Dans de nombreux pays industrialisés, les réglementations thermiques imposent aux projets de construction et de rénovation un certain niveau d’isolation des murs, planchers, toitures, ainsi que des menuiseries à double ou triple vitrage. En période froide, l’isolation thermique permet de réduire la perte de chaleur de de l’intérieur vers l’extérieur, diminuant ainsi les consommations énergétiques du système de chauffage. À l’inverse, en période chaude, l’isolation diffère le transfert de chaleur de l’extérieur vers l’intérieur, limitant alors, le cas échéant, les consommations du système de climatisation.
Ces stratégies contemporaines d’isolation thermique sont basées sur l’ajout définitif de matériaux non-structurels, dotés d’une résistance thermique élevée, à l’enveloppe des bâtiments. Il peut s’agir de fibre de verre, laine minérale, polyuréthane, ouate de cellulose, etc. D’un point de vue historique, cette approche est loin d’avoir été la « norme », et résulte d’un changement majeur de paradigme dans l’architecture. Les bâtiments de l’ère préindustrielle n’avaient en effet pas besoin de cette isolation supplémentaire, dans la mesure où ils disposaient d’une masse thermique suffisante pour atténuer les variations extérieures de température. En outre, les matériaux de constructions eux-mêmes pouvaient avoir une assez bonne résistance thermique.
Sur le temps long de l’histoire de la construction, les techniques et stratégies actuelles d’isolation thermique sont loin d’avoir été la norme, et résultent d’un changement majeur de paradigme dans l’architecture.
Par exemple, on construisait aux XIIe et XIIIe siècles en Europe du Nord des bâtiments dont le toit de chaume atteignait 60 à 80 cm d’épaisseur. Les murs étaient souvent bâtis avec un mélange de terre et de paille, qui offrait à la fois une inertie et une résistance thermique satisfaisantes. 2 A contrario, les bâtiments contemporains sont la plupart du temps constitués de structures filaires type poteaux/poutres en acier et béton, dont la masse thermique est in fine relativement faible. Ils s’avèrent de fait très sensibles aux variations extérieures de températures.
Par ailleurs, les constructions préindustrielles disposaient de peu de fenêtres, qui plus est de petite taille ; souvent dépourvues de vitrage, celle-ci étaient seulement fermées la nuit par des volets en bois. 3 Les bâtiments actuels sont au contraire dotés de larges surfaces vitrées, ce qui génère d’importantes déperditions de chaleur en hiver et des apports solaires élevés en été.
Dans les climats chauds, les bâtiments étaient généralement conçus pour favoriser la ventilation naturelle, par exemple en jouant sur l’orientation des constructions, la taille et la disposition des ouvertures, ou encore par une logique de cours intérieures, patios, etc. 4 À l’inverse, les bâtiments contemporains sont souvent conçus et construits de manière standardisée, quel que soit le climat local. Tout ceci entraîne inévitablement de fortes consommations d’énergie pour le chauffage et la climatisation ; on ajoute alors des isolants et du double vitrage, surtout depuis les chocs pétroliers des années 1970.


Isolation Permanente versus Amovible
Réintroduire des principes vernaculaires et bioclimatiques, permettant de maintenir une température intérieure confortable via une conception intelligente des bâtiments plutôt que par le recours à des systèmes énergivores, pourrait permettre de réduire les consommations liées au chauffage et à la climatisation de manière significative. Toutefois, il ne s’agit pas d’une solution à court terme : le renouvellement du parc bâti existant nécessite à la fois beaucoup de temps, d’argent et d’énergie.
Heureusement, l’histoire nous offre un bon exemple d’une solution alternative qui peut être déployée plus rapidement et avec des ressources moindres : les textiles. Avant la révolution industrielle, il était courant d’ajouter temporairement une couche d’isolation textile soit à l’intérieur soit à l’extérieur d’un bâtiment, selon le climat et la saison. Par temps froid, les murs, sols, toits, fenêtres, portes et même les meubles étaient isolés par des tentures, draperies, tapis et autres tissus. Par temps chaud, ce sont les fenêtres, portes, façades, toits, patios et rues que l’on couvrait d’auvents et de toiles d’ombrages.


Une isolation amovible permet de réaliser des économies d’énergie significatives avec bien plus de flexibilité que des isolants permanents. Les techniques d’isolation actuelles impliquant des permis de construire et des interventions sur la structure des bâtiments, elles s’avèrent à la fois onéreuses, chronophages et restent, en définitive, réservées aux propriétaires ou bailleurs. De plus, ces techniques sont parfois inadaptées au bâti ancien, pour lesquelles le rapport entre le coût d’investissement et les économies d’énergie réalisées en retour peut être défavorable. 56
Les habitant·es ont souvent la possibilité d’installer une isolation amovible sans demander de permis spécifique ni recourir à des professionnels, ce qui met cette solution DIY à la portée du plus grand nombre.
Au contraire, les techniques d’isolation basées sur des textiles amovible se révèlent adaptées à la fois aux constructions neuves et au bâti ancien, et concernent autant les propriétaires que les locataires. Les habitant·es ont souvent la possibilité d’installer une isolation amovible sans demander de permis spécifique ni recourir à des professionnels, ce qui met cette solution DIY à la portée du plus grand nombre. Une isolation amovible peut, de plus, être mise en œuvre rapidement sans causer de nuisances particulières pour les autres résident·es ni le voisinage.
Concernant le rafraîchissement, les textiles présentent un autre avantage. Les bâtiments très isolés et dotés d’une forte étanchéité à l’air peuvent subir d’importantes surchauffes internes en cas de panne du système de climatisation pendant une vague de chaleur. 7 À l’inverse, des protections solaires passives comme les stores, auvents et toiles d’ombrage permettent de maintenir un certain confort en intérieur sans être dépendant du bon fonctionnement du réseau électrique.
L’hiver : Tapis et Rideaux
Historiquement, l’utilisation de couches de tissus amovibles en architecture a suivi des stratégies différentes selon les climats. Dans les régions froides, à l’instar d’une grande partie de l’Europe, les gens disposaient sur les parois internes des édifices différents « dispositifs » textiles, en vue d’améliorer leur confort thermique. Certains d’entre eux, comme les rideaux et tapis, sont toujours présents dans les intérieurs modernes, en bien moindre proportion néanmoins par rapport aux époques précédentes.
Par exemple, les tapis n’étaient pas seulement disposés au sol, mais également suspendus aux murs (« tapis muraux » ou « tentures ») ; ils drapaient les tables (« jetés » ou « chemins de table »), et couvraient divers autres meubles – le terme « jeté » désigne en réalité tout pan de tissu disposé sur un meuble, un canapé, un fauteuil, une table ou un lit en guise de protection et d’ornement. De même, d’épais rideaux étaient installés devant les fenêtres, mais aussi les portes (« portières ») et ouvertures, et disposés autour des lits (« baldaquins » ou « ciels de lit »). 89101112131415 Dans certaines régions, les habitant·es suspendaient quant à eux d’épaisses étoffes – édredons, couettes ou courtepointes – au plafond pendant les mois d’hiver. 161715




Ces « tissus domestiques » étaient généralement fabriqués en laine naturelle, qui demeure un des matériaux isolants les plus performants. 18 La résistance thermique de la laine demeure la même qu’elle soit mise en œuvre de manière permanente au sein des parois d’un bâtiment, ou simplement disposée à leur surface. Les tapis de sol et tentures murales réduisaient ainsi le transfert de chaleur de l’intérieur vers l’extérieur du bâtiment, exactement comme les procédés d’isolation actuels. De la même manière, des rideaux en laine de 2-3 cm d’épaisseur conféraient à une fenêtre à simple vitrage le même niveau d’isolation qu’un double vitrage moderne. 19
Avant le XVIIIe siècle, les Européens importaient déjà des tapis d’Orient mais ne les utilisaient qu’accrochés aux murs ou pour couvrir des meubles, les considérant comme des objets trop précieux pour marcher dessus.
La fabrication de tapis et carpettes en laine sur métiers à tisser, par le procédé de tissage à plat et, plus tard, par nouage, est attestée dès les premiers siècles après J.-C. au Moyen-Orient, en Asie Centrale, et en Extrême-Orient. Pourtant, les tapis de sol en laine ne se sont répandus en Europe qu’aux alentours du XVIIIe siècle, au moment où la production de tapis commença à être mécanisée. Avant cette évolution technique, les Européens importaient déjà des tapis d’Orient mais ne les utilisaient qu’accrochés aux murs ou pour couvrir des meubles, les considérant comme des objets trop précieux pour marcher dessus. Pour l’isolation du sol, ils avaient alors recours à des peaux d’animaux, à divers types de paille, ou encore à des nattes en fibres végétales. 1011122021



Ces tissus d’intérieur permettaient aussi d’arrêter les courants d’air qui s’infiltraient à l’intérieur du bâtiment par des interstices ou fissures dans les parois extérieures, les encadrements des portes et fenêtres. 8 C’est ailleurs la raison pour laquelle les rideaux de fenêtre ont évolué pour pouvoir être tirés des deux côtés. Les rideaux à deux pans peuvent en effet être entrouverts afin de laisser pénétrer la lumière du jour et dégager la vue tout en arrêtant les infiltrations d’air causées par des joints de mauvaise qualité entre le mur et le dormant (cadre de la fenêtre). 910
Les rideaux à deux pans peuvent être entrouverts afin de laisser pénétrer la lumière du jour et dégager la vue tout en arrêtant les infiltrations d’air causées par les joints de mauvaise qualité entre le mur et le cadre de la fenêtre.
Pendant l’hiver, d’épais et lourds rideaux pouvaient permettre de protéger une pièce du courant d’air froid généré à chaque fois que quelqu’un ouvrait la porte. Ces rideaux appelés « portières » existent toujours dans les halls de certains bâtiments historiques ou d’anciens cafés, mais on en trouvait aussi à l’époque dans des habitations. 9101615
Comparés aux techniques d’isolation contemporaines, les tissus avaient en outre l’avantage, en jouant sur d’autres paramètres physiques (comme l’effusivité), d’offrir un meilleur ressenti en termes de confort thermique. Les tapis de sol ralentissaient le transfert thermique par conduction des pieds vers le sol froid, tandis que les « chemins de table » mettaient les bras et les mains en contact avec une surface plus chaude au toucher. Enfin, les duvets suspendus aux plafonds, les baldaquins et « couvertures de table » (table mats) étaient autant de manières d’accumuler la chaleur produite par le corps humain ou une autre source d’énergie au sein d’un espace plus réduit. 161715


Fauteuils Tapissés, Boiseries Murales
Les textiles pouvaient également être combinés avec des éléments de boiserie, dans le même but d’améliorer le confort thermique. Par exemple, le paravent était un ouvrage associant tapisserie et menuiserie, qui bloquait les courants d’air et réfléchissait la chaleur radiante issue de la cheminée. 8 Dans le cas des chaises tapissées, apparues à la fin des années 1600, le matériau de revêtement (textile, cuir) était garni d’un coussin d’assise, rembourré avec du duvet, des plumes, de la laine, du crin de cheval, ou encore des chiffons. 11 Ceci offrait une assise plus moelleuse tout en réduisant les déperditions thermiques du corps vers le meuble. 8 Les coussins contribuaient eux aussi au confort thermique.
Certains éléments décoratifs, composés de bois ou de plâtre, assuraient des fonctions assez similaires aux textiles au sein des pièces de vie. Par exemple, les moulures permettaient d’arrêter les courants d’air en recouvrant les « joints de construction » entre les murs et les planchers (plinthes), les plafonds (corniches), et les portes et fenêtres (chambranles). 822 Certaines demeures disposaient quant à elles de cloisons amovibles, sortes de panneaux en bois fixés au plafond par des gonds ou charnières, qui étaient descendus en hiver afin de contenir la chaleur autour de l’âtre. 23
Les moulures éliminaient les courants d’air en recouvrant les joints à la liaison entre les murs et planchers, plafonds, portes et fenêtres.
Le lambris était un habillage en bois de sapin ou de chêne, généralement installé en partie basse d’un mur – une pratique qui remonte à la fin du Moyen Âge. 81124 De telles boiseries pouvaient également être rembourrées, ce qui augmentait alors leur résistance thermique. Les rideaux étaient parfois remplacés par des volets intérieurs. Se substituant aux baldaquins, les lits-clots étaient quant à eux fermés de tous côtés par des panneaux de bois.
Il existe malheureusement peu de recherches scientifiques menées sur le potentiel d’économies d’énergies associées aux textiles domestiques et à des dispositifs similaires, qu’ils soient utilisés seuls ou en combinaison avec une isolation « permanente » du bâti. Seules quelques études plus anciennes ont évalué les performances thermiques des tapis de sol et muraux, mais aucune d’entre elles ne s’est intéressée aux effets combinés des textiles d’intérieur et autres éléments « décoratifs ». 25


L’été : Stores et Auvents
Les textiles décrits ci-dessus étaient, à l’origine, utilisés pour améliorer le confort thermique par temps froid. Le rideau de fenêtre constitue une exception à cette règle, puisqu’il permet non seulement de conserver la chaleur à l’intérieur pendant l’hiver, mais également de protéger en partie du rayonnement solaire en été, maintenant une température plus fraîche qu’à l’extérieur. 26 Néanmoins, quant il s’agit de rafraîchir l’environnement intérieur, les textiles sont beaucoup plus efficaces utilisés à l’extérieur du bâti sous forme d’auvents ou de stores, qui arrêtent le rayonnement solaire avant qu’il ne traverse le vitrage. 27
Il faut attendre les XVIe et XVIIe siècles en Europe pour voir apparaître les rideaux de fenêtre ainsi que les stores, à une période où la production de verre devient suffisamment abordable pour permettre d’envisager de plus grandes surfaces vitrées. 91120 Comme évoqué précédemment, de plus grandes fenêtres compliquent à la fois le chauffage et le rafraîchissement des bâtiments. Cette évolution présente néanmoins des avantages : elle permet des apports solaires « passifs » en hiver, améliore la ventilation naturelle, l’accès à la lumière du jour tout au long de l’année, et offre une meilleure vue sur l’extérieur. 282629
Les rideaux et stores – ces derniers généralement en toile – permettent de concilier ces différents enjeux liés au bioclimatisme. Par exemple en été, un store permet de limiter les apports solaires tout en laissant les fenêtres ouvertes pour ventiler, disposer de lumière naturelle et d’une vue partielle sur l’extérieur. 30 Au XIXe et début du XXe siècle, on pouvait voir des stores et auvents en façade des immeubles dans la plupart des villes d’Europe et d’Amérique du Nord. Plusieurs gratte-ciels de New York et Chicago en étaient même équipés à l’origine. 31
Au XIXe et début du XXe siècle, on pouvait voir des stores et auvents en façade des immeubles dans la plupart des villes d’Europe et d’Amérique du Nord.
Les stores peuvent être combinés à la climatisation, réduisant alors considérablement la consommation d’énergie de cette dernière. Plusieurs études ont démontré que des protections solaires extérieures efficaces (stores ou auvents) peuvent réduire la consommation énergétique d’un système de climatisation d’un tiers voire de la moitié ; ces gains dépassent ceux permis par des technologies plus coûteuses comme le double ou triple vitrage, ou encore le verre à faible émissivité (conçu pour bloquer les rayons UV). 732333435363738 Les fenêtres actuelles n’ayant jamais été aussi grandes, ce genre de protections solaires donne de très bons résultats pour un investissement relativement faible.



L’été : Voiles d’ombrages
En dehors de l’Europe Occidentale et de l’Amérique du Nord, l’usage de « rideaux » extérieurs à des fins de rafraîchissement précède de plusieurs siècles l’utilisation du verre pour les fenêtres. Depuis plus de 2000 ans, au Moyen-Orient et sur tout le pourtour méditerranéen, on a eu recours à des textiles pour abriter du soleil non seulement les portes et fenêtres (non vitrées), mais également les toits, façades, patios, cours intérieures, et même des rues entières. Ce type de tenture extérieure a reçu, selon les époques et les régions, le nom de « velum », « toldo » ou « voile d’ombrage ».
La toile d’ombrage traditionnelle, faite de chanvre tressé, est une pièce de tissu de forme rectangulaire ou triangulaire, suspendue à des cordes par des œillets latéraux. 39 Les micro-perforations de ce type de toile évitent que l’air chaud ne stagne sous le dispositif d’ombrage. 40
Dans la Rome Antique, les marins assemblaient de larges velaria destinés à protéger du soleil les amphithéâtres. 394140 En Egypte, au Caire, les voiles d’ombrage des rues et patios font encore partie intégrante de la forme urbaine, en particulier dans certains quartiers historiques. 39 Des villes européennes historiquement marquées par le passage de la culture islamique, comme Cordoue, Málaga, Grenade et Séville en Espagne, ont fait perdurer ou remis au goût du jour l’usage des toldos, qui couvrent des rues et quartiers entiers.
Si l’utilisation des voiles d’ombrage a été prédominante dans les climats désertiques, le changement climatique les rend aujourd’hui pertinentes y compris dans des régions tempérées.
Une étude menée en 2020 dans la ville de Cordoue a démontré que les toldos permettaient de réduire la température des revêtements de sol, des façades de bâtiments et des toits de 15°C. 40 Une stratégie d’ombrage collective pourrait ainsi remplacer des stores et auvents individuels ; l’efficacité sur le rafraîchissement des bâtiments dépend toutefois de l’orientation des rues. Si, de manière générale, l’utilisation des voiles d’ombrage a été prédominante dans les climats désertiques, le changement climatique les rend aujourd’hui pertinentes y compris dans des régions tempérées.
Contrairement à la climatisation, les auvents et voiles d’ombrage sont des solutions robustes, abordables et simples, à la portée de la plupart des foyers et communautés. En Égypte, par exemple, à contre-pied d’un aménagement urbain initié par les autorités locales, les résidents réalisent eux-mêmes la confection et l’installation des toldos, « ce qui prouve qu’un mouvement architectural populaire, s’appuyant sur l’artisanat et les savoir-faire locaux, est possible ». 39


Rues Couvertes
La frontière entre isolation permanente et amovible parfois poreuse ; cela vaut notamment pour les dispositifs extérieurs. Par exemple, les persiennes et éléments architecturaux comme les fenêtres en retrait (par rapport au nu extérieur de la façade) ou encore les galeries couvertes peuvent se substituer aux auvents et voiles d’ombrage. 42
Dans les cités du monde arabo-musulman, les rues des quartiers résidentiels pouvaient être partiellement couvertes par l’encorbellement des bâtiments, ou totalement par l’ajout d’espaces de vie supplémentaires. Les rues commerçantes étaient généralement couvertes, soit par des maçonneries lourdes (voûte ajourée), soit par des structures semi-lourdes associant mur de parapet et toit à deux pans, ou plus simplement par des planches de bois couvertes de chaume. 42
Les arbres peuvent aussi servir de dispositif d’ombrage. Les arbres à feuilles caduques, en particulier, permettent de protéger les rues et bâtiments en été, tout en laissant passer les rayons du soleil en hiver. Les arbres mettent cependant des décennies avant d’atteindre leur plein développement, et ont besoin d’eau, qui est souvent une ressource précieuse dans les régions où les toiles d’ombrage sont historiquement utilisées.
![Image de gauche : Consulat Britannique 1917. Traditionnellement, les habitant·es de la région de la Mer Rouge, au climat chaud et aride, placent devant les ouvertures de bâtiment des panneaux de bois ajourés, sortes de claires-voies finement ouvragées. Ces éléments prennent le nom de “masharabiya” (Egypte), “rowshan” (Arabie Saoudite) ou encore “jali” (Inde, Pakistan). [^11][^28][^36] Il s’agit là de structures en bois, disposées en saillie de la façade et couvrant une voire plusieurs fenêtres, à chaque étage. Les “shishes”, nattes faites d’herbes ou de chaume tressé et suspendues devant les fenêtres et portes d’entrées, en étaient une version moins coûteuse utilisée par les ménages plus modestes. Image de droite : Scène de rue, 1916. Crédit photo : [^36].](https://solar.lowtechmagazine.com/fr/2025/10/dressing-and-undressing-the-home/images/dithers/roshans_dithered.png)

Architecture Textile : les Tentes
Dans tous les exemples cités précédemment, les textiles forment une couche architecturale additionnelle, « souple », qui se superpose soit à l’intérieur soit à l’extérieur des parois « solides » du bâti. Pourtant, cette enveloppe textile souple peut aussi faire architecture par elle-même. Dans de nombreuse partie du monde, plutôt que d’habiter des structures permanentes construites en bois, en terre, en briques ou tout autre matériau solide, les humains ont habité – et habitent parfois encore – des structures légères et portables, presque entièrement faites de textiles : les tentes. La toile d’une tente remplit à la fois les fonctions de rideau, de tapis de sol et d’auvent – sans paroi solide entre ces éléments.
La toile d’une tente remplit à la fois les fonctions de rideau, de tapis de sol et d’auvent – sans paroi solide entre ces éléments.
En temps que discipline académique, l’histoire de l’architecture n’a pendant longtemps que peu voire pas considéré comme digne d’intérêt l’architecture textile, laquelle est apparue au sein de peuples nomades, hors de la sphère du monde occidental soi-disant « civilisé ». 4143 Pourtant, l’utilisation des tentes comme habitations permanentes était un fait largement répandu. Elles constituaient même l’abri de prédilection quand deux facteurs, souvent corrélés, étaient prédominants dans l’environnement et le mode de vie : un manque de matériaux de construction et un besoin de mobilité géographique. Les peuples pasteurs nomades ont utilisé des architectures « mobiles » à travers les vastes étendues d’Eurasie, d’Afrique du Nord et d’Amérique du Nord jusqu’à une période relativement récente, et pour certains les utilisent encore aujourd’hui. 41
On peut, encore aujourd’hui, trouver de solides arguments en faveur de la tente, à la fois en termes de soutenabilité et de résilience. Tout d’abord, les tentes sont beaucoup moins consommatrices de ressources que les constructions permanentes. Ensuite, ces dernières nécessitent des protections vis-à-vis d’un large éventail d’aléas climatiques, parmi lesquels les canicules, tempêtes, feux de forêt, inondations, etc. A contrario, la tente permet d’échapper à ces problèmes en se déplaçant : autrement dit, de fuir le danger sans laisser sa maison derrière soi. Enfin, les tentes sont un abri sans danger en cas de tremblement de terre.


Tentes pour Régions Chaudes et Froides
L’usage de tentes peut être observé dans des régions soumises à des chaleurs ou froids extrêmes, ce qui démontre la polyvalence des textiles autant que leur capacité à garantir un certain confort thermique. 41 La tente conique recouverte de peaux animales en Eurasie du Nord et Amérique du Nord, plus connue sous le nom de « tipi », tout comme la « kibitka » ou tente de feutre, connue sous le nom de « yourte », ont été conçues pour permettre une combustion efficace dans des climats froids et venteux. Leurs structures servent à la fois de chambre de combustion, de cheminée et de pare-vent pour le foyer central, en plus de servir d’habitation. 41
À l’inverse, la « tente noire » utilisée au Moyen-Orient était conçue pour maintenir la chaleur à l’extérieur plutôt qu’à l’intérieur. D’aspect assez similaire aux tentes actuelles, il s’agissait d’une tente sans armature, dont le velum était tendu sur un nombre minimal de poteaux en bois, dans une forme aérodynamique. Contrairement aux matelas de feutres ou aux pièces de cuir recouvrant la kibitka et la tente conique, le velum de cette tente, tissé à partir de poils de chèvre noire, était suffisamment résistant à la traction pour être précontraint. 41 Il avait l’avantage d’atténuer la chaleur tout en fournissant de l’ombre ; à l’intérieur de la tente, la température pouvait ainsi être jusqu’à 10-15°C plus fraîche qu’à l’extérieur. 3
Tipis


Kibitkas


Tentes noires


Vêtir et Dévêtir la Maison
Dans un bâtiment moderne, maintenir le confort thermique ne requiert pas d’attention particulière ni d’effort de la part des occupants. Lorsqu’il fait plus froid en hiver ou plus chaud en été, les systèmes de chauffage et de climatisation maintiennent une température intérieure constante, réglée par un thermostat, en consommant de l’énergie. À l’inverse, les bâtiments de l’époque préindustrielle demandaient une participation active de la part de leurs occupants. Il était alors tout à fait habituel d’ajuster les différents textiles intérieurs et extérieurs selon l’heure du jour, la météo ou la saison.
L’usage, au cours de l’histoire, des textiles comme isolation amovible évoque l’acte d’habiller et déshabiller nos corps, qui est lui aussi intrinsèquement influencé par les conditions météorologiques et les saisons.
L’usage, au cours de l’histoire, des textiles comme isolation amovible évoque l’acte d’habiller et déshabiller nos corps, qui est lui aussi intrinsèquement influencé par les conditions météorologiques et les saisons. 15 Au quotidien, les gens ouvraient et fermaient les rideaux, stores et auvents, selon la météo et l’heure du jour. 9 Les toiles d’ombrage des rues et patios était quant à elles repliées la nuit, afin que la chaleur emmagasinée dans la masse thermique des sols et des façades des bâtiments puisse être dissipée par rayonnement vers le ciel. 36 Il en allait de même les journées de grand vent.
![Image : De nombreux exemples historiques montrent la proximité qui existait entre la tapisserie, la draperie et la confection des robes. [^11] Détail de : Nicolas Ponce (1746–1831) d’après Pierre Antoine Baudouin (1723–1769), La toilette, gravure, 1771. Metropolitan Museum of Art, Harris Brisbane Dick Fund, 1954, 54.533.12. Image dans le domaine public.](https://solar.lowtechmagazine.com/fr/2025/10/dressing-and-undressing-the-home/images/dithers/textiles-and-clothes_dithered.png)

À l’échelle saisonnière, les tapis étaient retirés et roulés en été afin de laisser apparent le sol en pierre, plus frais au toucher. Les dais et baldaquin, faits de lourdes étoffes et utilisés pendant l’hiver, étaient remplacés par des textiles plus fins en été, protégeant ainsi dormeuses et dormeurs de la gêne occasionnée par les insectes. 10 A Cordoue, comme dans d’autres villes espagnoles, des toldos couvraient certaines rues de mai à octobre seulement. 40
Les habitant·es de certaines régions du monde ajoutaient des couches temporaires d’isolation extérieure à la structure, en empilant des éléments en partie basse des murs, en particulier sur ceux exposés aux vents dominants. Par exemple, pendant la période coloniale en Amérique du Nord, les maisons du Connecticut se voyaient souvent flanquées de mottes de gazon ou de tourbe, de piles de feuillage ou même, sur la côte, d’algues. Encore aujourd’hui, on peut voir, dans certaines régions rurales du Nord des États-Unis, des bottes de paille empilées tout autour du soubassement des maisons à ossature bois. 3
Vêtir et Dévêtir la Tente
Les tentes témoignent elles aussi d’un usage saisonnier des textiles. En Laponie, la couverture était généralement constituée d’écorces de bouleau en été et de peau de renne en hiver. Dans les yourtes mongoles et turques, le nombre de couches de feutre disposées sur l’armature était fonction de la température extérieure. On pouvait compter jusqu’à 2 ou 3 couches de feutre en hiver, tandis qu’en été, les feutres périphériques étaient réhaussés d’environ 50 cm au-dessus du niveau du sol, afin de ventiler l’intérieur. Les peuples premiers d’Amérique du Nord régulaient quant à eux l’intensité du feu en ouvrant ou en fermant certaines parties de leurs tentes. En été, les tipis étaient laissés en partie ouverts au vent. 41
On pouvait compter jusqu’à 2 ou 3 couches de feutre en hiver, tandis qu’en été, les feutres périphériques étaient réhaussés d’environ 50 cm au-dessus du niveau du sol, afin de ventiler l’intérieur
Dans les tentes noires, une doublure en coton, autrement dit une tente dans la tente, pouvait être suspendue à l’intérieur pendant l’hiver afin d’isoler du froid. En été, la tente était laissée ouverte de tous les côtés. Notons que l’excellente tenue au vent et aux rafales des tentes noires reposait entre autres sur une intervention régulière de ses occupant·es. La face ouverte de la tente étant orientée à l’opposée du vent dominant, un brusque changement de direction du vent nécessitait de déplacer les mats vers l’arrière, retirer la toile arrière, et la réattacher à l’avant. 41
Pendant la saison froide, une isolation extérieure pouvait également être ajoutée aux tentes. Certains peuples entouraient leurs tentes de clayonnages (sorte de clôtures en bois), tandis que d’autres construisaient des murets voire des murs de terre ou de pierre autour. En Laponie, il arrivait que les parties latérales soient recouvertes de neige en hiver. 41 Certaines tribus autochtones d’Amérique du Nord empilaient un mélange de terre et de pierres tout autour de la base des tipis afin d’arrêter les courants d’air et d’en améliorer l’isolation. Cette technique avait un autre avantage, celui de renforcer l’ancrage de la structure, la protégeant ainsi de vents hivernaux parfois violents. 3



Intimité, Bruit, Ornement
Tout en gardant les occupants au chaud ou au frais, les textiles pouvaient aussi remplir d’autres fonctions, à la fois dans des habitats permanents ou des tentes. En premier lieu, ils aidaient à délimiter des espaces privés ou plus intimistes au sein du foyer. 9 Les pièces étaient séparées par des rideaux, qui permettaient à la fois de mettre à l’abri des regards et d’atténuer les sons. 89121615 Les rideaux pouvaient également occulter des espaces dédiés à des usages spécifiques et dont l’accès était restreint. 13 Les baldaquins, en l’absence de chambre séparée, offraient quant à eux un peu d’intimité. 9

Les rideaux et stores permettaient eux aussi de garantir une certaine intimité sans sacrifier le confort thermique. En été un rideau de porte ou un store pouvait ainsi bloquer les regards extérieurs quand les portes et fenêtres étaient ouvertes, tout en laissant passer un peu d’air et de lumière. Les chambres séparées par des rideaux de porte offraient de même un peu d’intimité aux habitant·es, tout en permettant une bonne circulation de l’air. 9 Les textiles permettaient aussi de protéger les gens et leurs effets personnels de la poussière et des insectes, de réduire le bruit, mais également de rendre les voix humaines plus claires et sonores. 1415
Enfin, les textiles participaient à l’embellissement des espaces où ils étaient suspendus, « soit par eux-mêmes, soit comme toile de fond pour des objets ou personnes ; en plus de la dimension esthétique, ils créaient ainsi, selon les contextes, un sensation d’opulence, une atmosphère solennelle, ou au contraire intimiste, chaleureuse, etc. » 13 Les textiles étaient souvent les objets de plus grande valeur exposés dans un intérieur, leur qualité et leur diversité témoignaient donc directement du statut social de leurs propriétaires. 1013
Les textiles étaient souvent les objets de plus grande valeur exposés dans un intérieur, leur qualité et leur diversité témoignait donc directement du statut social de leurs propriétaires.
Par exemple, dans la plupart des maisons, les tentures étaient faites de laine, coton ou cuir, tandis que les châteaux, palais et villas se distinguaient par leurs murs ornés de tentures de cuir estampé ou de riches tapisseries représentant des scènes ou paysages spécifiques – tissées en soie et laine, et parfois rehaussées de motifs ou dessins brochés d’or et d’argent pour les rendre encore plus précieuses. 1244


Climatisation et Intérieurs Épurés
De nos jours, peu d’entre nous habitent dans des bâtiments encore équipés de portières, lits à baldaquins, ou persiennes. La profusion de décoration intérieure a laissé place à une esthétique domestique minimaliste, neutre, et bien souvent dénuée de tous textiles. 81220 De même, on préfère construire des centres commerciaux climatisés plutôt que des rues commerçantes couvertes de toldos. Ceci n’est, évidemment, rendu possible que par la quantité en apparence « illimitée » d’énergies fossiles à notre disposition. 8
Les rideaux, tapis, stores et toiles d’ombrage ont bien entendu leurs inconvénients et désavantages. Ils nécessitent de l’attention et des interventions manuelles, doivent être nettoyés, et peuvent être une source potentielle d’incendie – à moins d’être en laine ou en cuir. 45 Cependant, la combustion toujours croissante d’énergies fossiles présente des inconvénients bien plus importants, surtout à long terme.
Les textiles pourraient contribuer à réduire les consommations d’énergie, améliorer le confort thermique et l’habitabilité dans tous types de bâtiments. On pourrait ainsi recourir massivement aux toiles d’ombrage pour couvrir les rues et les toits de quartier entiers. Tous les exemples historiques démontrent l’efficacité des stratégies d’isolation basées sur des tissus amovibles.


Malheureusement, les propriétés thermiques des tapis, rideaux et autres éléments textiles ne sont pas considérés par les réglementations thermiques qui encadrent la construction et la rénovation des bâtiments. Ajoutez autant de rideaux et épaisseurs de tapis en feutre que vous voudrez ; la réglementation vous obligera quand même à installer du double ou triple vitrage, et à isoler les parois extérieures, quand bien même des textiles judicieusement utilisés pourraient offrir un confort thermique équivalent. 5
Quant à l’extérieur des bâtiments, l’installation de stores ou auvents est parfois tout simplement interdite. La British Blind and Shutter Association a ainsi dû batailler auprès des autorités locales afin d’obtenir le retrait d’un arrêté interdisant les bannes et auvents. 30 Enfin, au cas où il vous viendrait des idées, il est interdit dans de nombreux pays de vivre dans une tente, y compris sur une propriété privée.
Merci à Louise Morin pour l’inspiration.
Merci à Jonas Görgen, Roel Roscam Abbing, et Marie Verdeil pour leurs retours sur une précédente version de cet article.